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Megalopolis : De cendres et d’or

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Publié le

27 septembre 2024

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A 85 ans, Francis Ford Coppola n’avait plus grand-chose à prouver. Et pourtant, avec ce projet démiurgique qu’il porte depuis plus de 20 ans, il enterre la concurrence et prouve que le cinéma en tant qu’art n’en est peut-être qu’à ses débuts.

Le Nouvel Hollywood n’a pas dit son dernier mot. Le West Side Story de Spielberg, échec public, reste malgré tout une magnifique tentative d’épuisement des moyens du cinéma qui fera date. Même chose pour Killers of the Flower Moon, dernier opus magistral de Martin Scorsese qui revisite à rebours l’histoire américaine – et donc l’histoire du cinéma. Chez cette génération qui a presque inventé tous les codes modernes, il y a une volonté commune de faire front, d’incarner une forme de résistance – face aux plateformes, face à la dérive « feuilletonnante » du cinéma incarné par Marvel, face au numérique qui menace un arasement par le bas, alors que bien utilisé, il pourrait être un formidable athanor pour de nouvelles expérimentations.

On se souvient également des propos de Georges Lucas qui après avoir vendu les droits de Star Wars, avait déclaré son envie de se consacrer à un cinéma « entièrement nouveau, expérimental, sans intrigue ». C’est précisément ce que tente Coppola avec Mégalopolis. Véritable arlésienne que le réalisateur a failli aboutir à la fin des années 90 – mais qui a été stoppé net par l’attentat de septembre 2001 – impossible de se mesurer à la fiction du réel. 25 ans plus tard, entièrement autofinancé, le projet relève d’un film somme, mais pas aussi « testamentaire » qu’on veut bien le dire. Au contraire, dans son jusqu’au-boutisme, il a quelque chose de frondeur et de punk.

Le résultat s’apparentant parfois à une véritable sculpture en temps réel de l’ombre et de lumière.

Dans cette volonté démente de faire un spectacle total, d’embrasser le cinéma dans la totalité de son spectre : en revenant à la fois à un proto-cinéma, au cinéma muet tel qu’il se pratiquait dans les « nickélodéons » – ces salles qui ressemblaient à des baraques foraines, tout en utilisant les nouvelles technologies comme le moteur d’une véritable « post-avant-garde » – avec notamment ces fameux murs LEDs qui permettent en temps réel, sur le plateau, l’incrustation de décors virtuels.

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 Il y a bien quelque chose d’alchimique dans Mégalopolis, quelque chose d’un Grand Œuvre : l’histoire (c’est une fable, nous prévient le réalisateur) est réduite à une succession de séquences qui suppriment toute dramaturgie, toute psychologie même, comme si au fond les dialogues, les situations n’importaient pas tant à Coppola que de fixer sur la pellicule un continuum d’icônes, de sutures et d’images-temps – pour paraphraser Deleuze. C’est pourquoi le film peut paraître ennuyeux au premier abord : rien ne se détache de cette succession hallucinée et hallucinogène, tout est filmé avec la même emphase, la même hystérie. Il y a du King Vidor dans ce cinéma total – on pense notamment au Rebelle ou encore à La Foule, films sur lesquels plane l’ombre d’Ayn Rand, grande prêtresse du libéralisme à l’américaine.

Scénario et intrigue n’intéressent plus le réalisateur : ce qu’il veut, c’est produire une véritable matière-monde

C’est cette culture de l’entreprenariat, entrevue come une véritable religion, voire comme une mystique, à  laquelle s’attaque Coppola : s’il colle à Megalopolis un décorum de Rome antique, c’est pour mieux mythologiser les États-Unis et leur ambition d’aménager le monde. Megalopolis ne parle pas tant du futur que du passé des Etats-Unis, interrogeant son rapport à l’entreprise – l’urbanisme étant vu ici comme l’alpha et l’oméga de la création humaine. Un urbanisme entrevu comme un « aménagement de la réalité » mais aussi comme une transformation de l’humain, à un niveau cellulaire – ce que le cinéma de Coppola tente de faire, composant des plans qui impriment durablement la rétine, où se surimpressionnent des effets optiques ancestraux et des trucages numériques hallucinants, le résultat s’apparentant parfois à une véritable sculpture en temps réel de l’ombre et de lumière.

 On sort ici de l’économie temporelle du film et du divertissement. Scénario et intrigue n’intéressent plus le réalisateur : ce qu’il veut, c’est produire une véritable matière-monde. Cette matière-monde du cinéma, c’est évident le mégalon, grande trouvaille du film, sorte de matière virtuelle qui est évidemment une puissante métaphore du cinéma : à la foi objet réparateur, liant universel et ultime moyen de ressusciter les morts. Sublime.

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