Peu d’hommes politiques pourront se targuer de laisser derrière eux un héritage aussi controversé que celui de Jean-Marie le Pen. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les réseaux sociaux pour constater à quel point il a su rester clivant. C’est simple, tout y passe ! des témoignages énamourés aux hommages un peu tièdes en passant par la volupté dégénérée de ceux qui dansent sur la dépouille de celui qui vient de mourir. Au-delà de l’homme (chair, sang, os…), c’est aussi, et surtout, l’un des derniers symboles de la vie politique « à l’ancienne » qui disparaît.
Que restera-t-il du legs de celui qui fut mi-adulé mi-honni par toute une partie de la droite française ? Peut-on encore même parler de filiation tant nombreux sont ceux qui ont préféré tenir à distance l’embarrassante idole ? Pour beaucoup, Le Pen était aussi monstrueux que grotesque. C’est là le propre des idoles. D’ailleurs, on ne fait pas de politique sans être un peu ogre. La propreté en diplomatie n’a jamais existé, n’existe pas et n’existera jamais. Pour les âmes sensibles que ces propos pourraient heurter, il suffit d’ouvrir sa fenêtre un jour de manifestation ou de tendre l’oreille dans n’importe quel troquet du coin pour constater avec quel acharnement la médiocrité tente à toute force de nous gouverner.
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Étrangement, son héritage est à rechercher ailleurs que dans l’histoire récente du Rassemblement National. Mieux vaut se tourner vers l’étranger si l’on souhaite dénicher une figure politique approchante : il s’appelle Trump aux États-Unis, Bolsonaro au Brésil, Orban en Hongrie, Milei en Argentine… Autant d’héritiers potentiels qui s’inscrivent – d’une manière ou d’une autre – dans le sillon nationaliste. Tous ont en commun la démesure burlesque, la gouaille parfois vulgaire et un petit quelque chose de pas bien policé dans leurs gestes. Ils sont en tout cas infiniment plus proches de l’« esprit » Le Pen que la potée politicienne qui mijote actuellement dans les cuisines du RN.
Que l’on ne s’y trompe pas, Jean-Marie le Pen avait quelque chose d’un Rabelais de droite, un Rabelais dévoyé me direz-vous mais tout de même ! Il en avait l’immense culture et le rire de celui pour qui rien n’est sacré. Oui, il a tenu des propos infâmes et il s’en cachait d’autant moins qu’on sentait qu’il éprouvait une sorte de jouissance démesurée à chaque fois qu’il parvenait à choquer son bourgeois. À bas les « tièdes » et à la revoyure les timorés ! Il préférait – et de loin ! – se vautrer dans l’outrance. Tapez dur, l’animal a le cuir solide ! Au cirque, il y a eu Auguste et le clown blanc, en politique il y eut Jean-Marie et Georges Marchais.
Je mentionnais Rabelais mais j’aurais tout aussi bien pu me référer au Portrait imaginaire du marquis de Sade brossé par le surréaliste Man Ray. Au premier plan, la toile montre le buste du « divin marquis » taillé à même un bloc de granit et regardant, au loin, brûler la forteresse de la Bastille. On ne sait s’il en est heureux ou non. L’énigme Jean-Marie, c’est aussi un peu ça. Quant à sa fille, elle tente de bâtir un nouveau parti en utilisant les briques laissées par le père mais à chaque pierre employée, les traits du géniteur s’effacent et disparaissent. Insondable mystère d’un héritage aussi bien revendiqué que nié. En cela aussi, JM le maudit n’a jamais aussi bien porté son nom.