Dans les somptueuses perspectives que dressent les vendeurs de rêves augmentés, y a-t-il le paradis ? Plutôt la déchéance, l’impotence et la fin du corps.
Cecil Rhodes (1853- 1902) est un aventurier anglais qui, envoyé jeune homme en Afrique du Sud pour y soigner son asthme, réussit en moins de vingt ans à prendre le contrôle, à travers l’entreprise De Beers Consolidated Mines, de la quasi-totalité de la production mondiale de diamants. Devenu Premier ministre de la colonie du Cap, il n’eut de cesse que d’accroître l’étendue de l’empire britannique en Afrique australe. Les nouvelles terres que, par l’intermédiaire de la British South Africa Company, il annexa reçurent le nom de Rhodésie. Malgré les succès, l’homme avait ses moments de mélancolie. « Le monde est presque entièrement partagé, déplorait-il, et ce qu’il en reste est en passe d’être divisé, conquis et colonisé. Penser à ces étoiles qu’on voit la nuit au-dessus de nos têtes, à ces mondes immenses hors de notre atteinte… J’annexerais les planètes si je pouvais. J’y pense souvent. Cela me rend triste de les voir ainsi, si distinctement, et pourtant si loin. »
Le prurit qui rongeait Rhodes, d’annexer perpétuellement de nouveaux territoires, est également l’obsession qui travaille en permanence l’économie capitaliste, toujours en quête de nouveaux marchés à ouvrir, de nouveaux « gisements de valeur » à exploiter – quand bien même il n’y a plus de contrées terrestres à coloniser, et que les astres demeurent inaccessibles. Alors, il faut plus que jamais innover. Qu’appelle-t-on aujourd’hui une innovation ? Une procédure ou un dispositif qui permette de mettre en exploitation un pan de la réalité qui, jusque-là, avait échappé au processus productiviste et marchand. Cependant, l’innovation ainsi entendue ne suffit pas : encore faut-il lui découvrir des débouchés rentables.
L’ennui est que la clientèle solvable est déjà tellement équipée, suréquipée en objets de toutes sortes, son temps disponible est déjà si saturé de sollicitations que l’entreprise ne va pas de soi. Par chance, il reste encore un lieu scandaleusement inexploité : le corps lui-même. Voilà le nouveau marché à investir, la nouvelle frontière (au sens américain du terme) à conquérir. Pour cela, il est nécessaire de convaincre au préalable les êtres humains que leurs corps sont déficients, ridiculement peu (...)
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