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À l’origine alliance médiévale instituée contre Vienne, le groupe de Visegrad a été ressuscité en 1991 dans un but de coordination régionale. Mais, au fil du temps, il est devenu le fer de lance d’une autre Europe.
Automne 1335, sur la rive du Danube, les rois de Pologne, de Bohême et de Hongrie se réunissent à Visegrad. Charles Ier de Hongrie, Jean Ier de Bohème et Casimir III le Grand, roi de Pologne, mettent un terme à leurs querelles. Les trois puissances les plus orientales du monde catholique se sont plusieurs fois affrontées les années précédentes mais se liguent contre Vienne, et son droit d’étape qui tue le commerce entre l’Est et l’Ouest de l’Europe. Ils envahissent le nord de l’Autriche : la ville hongroise de Kassa devient un des centres du commerce polono-russe, Buda et Brno deviennent des villes dotées de droit d’étape. C’est l’âge d’or de l’Europe centrale, en paix, puissante et prospère. Avec la chute de Constantinople, le Moyen-Âge se termine brutalement. L’Empire ottoman remonte petit à petit jusqu’à la Hongrie, qui avait arrêté les Turcs pendant plusieurs décennies, notamment à Belgrade en 1456. Arrivé à Vienne, le Sultan est refoulé par un roi polonais, Jean III Sobieski, en 1683. Mais le mal est fait. L’Europe centrale étouffe sous la pression des mondes germanique, russe et turc.
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Le Turc laisse sa place aux Habsbourg, qui récupèrent la couronne de Hongrie après avoir annexé la Bohême. La Pologne est bien mal récompensée d’avoir sauvé Vienne. La Prusse et la Russie démembrent le pays. Le XIXe siècle est marqué par la domination d’un empire Habsbourg arrivant à maturité et par l’éveil nationaliste du printemps des peuples. La Guerre Mondiale fait exploser l’Empire austro-hongrois avec la naissance de la Tchécoslovaquie et la renaissance de la Pologne. L’Europe centrale et orientale vit ensuite quarante-cinq ans de communisme après l’interlude nazi. Fidèles à leur tempérament provocateur, les Hongrois créent une brèche dans le rideau de fer avec les pique-niques de Sopron en juin 1989. Viktor Orbán, cheveux et barbe au vent, du haut de ses 25 ans, demande le départ des troupes soviétiques de Hongrie. Le lecteur doit savoir que durant les 500 ans de domination ottomane, autrichienne, nazie et soviétique, nombreuses furent les révoltes, et les luttes d’indépendance. Cette région de l’Europe, anciennement un pôle majeur de la chrétienté, vit dans l’ombre de sa grandeur, et dans la lumière de sa pugnacité.
Le Groupe de Visegrád, héraut d’une autre Europe 1991
Les présidents de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Hongrie se retrouvent dans les ruines aménagées du palais de Visegrád, sur les traces de leurs glorieux prédécesseurs. La vieille alliance est renouvelée. Elle a pour but officiellement la coordination régionale pour l’intégration commune des structures du « monde libre » enfin à portée : l’UE et l’OTAN. C’est la création du Groupe de Visegrád, ou V3 – puis V4. Dès lors, nombreux seront les observateurs qui n’y verront qu’un projet américain, qu’une étape de la mainmise US sur le Vieux Monde, notamment pour se créer une zone tampon face à la Russie. Laquelle a perdu toute capacité à maintenir son emprise sur l’Europe centrale. Les Centre-Européens, après 45 ans à s’accrocher au rêve américain sous le communisme, ont fait preuve du zèle nécessaire pour se jeter eux-mêmes dans les bras de l’Oncle Sam. Toutefois le Groupe de Visegrád reste bel et bien une initiative locale, inspirée par l’histoire. La conscience identitaire au sein du Groupe de Visegrád est particulièrement forte et, en particulier pour les Hongrois et les Polonais, bien antérieure au nationalisme du XIXe siècle, bien plus organique et vernaculaire.
Pour la Hongrie et la Pologne, États séculiers mais pas laïcs au sens français, s’opposer à l’Islam en Europe et au progressisme nécessite un retour du christianisme dans la vie publique.
Une fois les objectifs officiels atteints, le V4 se met en sommeil. Nous sommes dans les années 2000, et après les chaotiques années 90, il devient évident que ce qui ne devait être qu’une transition s’éternise. La crise de 2008 vient renforcer le sentiment de trahison et de déception : le V4 n’a pas rejoint l’Ouest. Il reste une périphérie. Et entre toutes, c’est l’influence allemande qui domine. Les élites socialistes de l’ancien régime communiste ont organisé la grande braderie de l’industrie centre-européenne, principalement au profit d’une Allemagne aux aguets au moment de sa réunification pour reconstituer son Hinterland en Mitteleuropa, et redevenir, à l’insu de la France, le patron sur le continent européen. L’Europe centrale, à travers les fonds structurels européens, a en effet été transformée en véritable atelier allemand.
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Les travaux de l’économiste Thomas Piketty le montrent bien : l’argent de Bruxelles arrive en Europe centrale au nom de « la cohésion de l’Union » mais aussi pour le développement des infrastructures qui favorisent l’implantation des multinationales occidentales. Pour un euro versé en fonds structurels, c’est 2 à 4 euros de bénéfices qui partent des PECO. Cette colonisation économique est aggravée par l’émigration des centre-européens – citoyens périphériques – vers l’Ouest. La fuite des cerveaux et les sociétés de travailleurs détachés saignent à blanc les PECO. Dans ce contexte, le V4 a déjà muté, et devient un vrai syndicat censé tenir tête à Merkel. Les résultats suivent. Les salaires augmentent, les investissements se maintiennent. Le patron berlinois doit maintenant négocier avec le groupe de Visegrad.
« Contre-révolution culturelle »
En 2014, Viktor Orbán, fer de lance du V4, annonce vouloir faire de la Hongrie un État illibéral. Il faut ici comprendre « libéral » comme le faux-ami anglais « liberal », progressiste. L’homme fort de Budapest veut que la Hongrie se redéfinisse comme un pays rejetant cette idéologie. Rejoint rapidement par l’éminence grise de la politique polonaise, Jaros?aw Kaczy?ski, l’Europe centrale commence la « contrerévolution culturelle ». Les germes pour le réveil de 2015 sont là. Cela se traduit par l’opposition frontale à l’immigration massive extra-européenne, considérant que les différences entre Européens et extra-Européens sont trop grandes pour accepter un afflux massif de ces derniers, qui ne pourront s’intégrer et changeraient la face des sociétés jusque-là homogènes. Cela va de pair avec l’opposition à l’islamisation de l’Europe. Pour la Hongrie et la Pologne, États séculiers mais pas laïcs au sens français, s’opposer à l’Islam en Europe et au progressisme nécessite un retour du christianisme dans la vie publique.
En Pologne, l’Église catholique est une institution majeure, présente à toutes les cérémonies officielles et impliquée dans l’éducation et la culture. Orbán redonne aussi de l’importance au clergé dans les écoles. Il inscrit aussi dans le marbre de la Constitution la définition hétérosexuelle du mariage. Tout cela amène évidemment à l’hystérie de l’opposition, par ailleurs impuissante tant les succès économiques et sécuritaires garantissent une popularité exceptionnelle aux gouvernements de Hongrie et de Pologne. La situation est plus complexe en république Tchèque et en Slovaquie, mais l’avènement du milliardaire trumpien Babiš laisse présager un grand nombre de surprises. Réélu en 2018, Viktor Orbán a poussé le concept d’illibéralisme plus loin : il a tout simplement assimilé ce système à la démocratie chrétienne, la dotant ainsi d’une nouvelle définition pour ce siècle. C’est la lutte « des mondialistes contre les patriotes », disait-il le 15 mars de cette année en appelant de ses vœux les peuples à s’unir contre « l’élite des citoyens du monde ».
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