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Titane : le naufrage

L’art de la posture

La moindre des choses, lorsqu’on se targue de faire des films de genre, c’est d’avoir la foi. La foi dans son histoire, la foi dans ses personnages, la foi dans son imaginaire. Pour faire croire, il faut croire : les plus grands réalisateurs de cinéma fantastique savent installer une situation, poser des personnages en quelques plans, élaborer un récit solide capable de maintenir la fameuse « suspension d’incrédulité ». Pour cela, encore faut-il faire fi de son ego. Ce qui n’est pas vraiment le genre de Julia Ducournau. L’histoire, le réalisme, la peinture de caractère, elle s’en tamponne. Ce qui lui importe, c’est plutôt de montrer à quel point elle est cool. D’ânonner une sorte de manifeste arty vaguement dans le vent, de balancer ici et là quelques images chocs soulignées au Stabilo, de régurgiter le tout en accumulant les poncifs, un peu comme si elle avait tiré au sort ses thématiques : la filiation, le déni de grossesse, la dysphorie de genre… Au passage, elle déploie tout un catalogue de chromos ultra beaufs : pompiers en rut filmés au ralenti, strip-teaseuses forcément gouines et bagnoles peintes à l’aérographe… Un catalogue de fantasmes adolescents, de références mal digérées, liées par une très bourgeoise volonté de choquer le bourgeois, tout cela mis bout à bout et sans aucune logique. De la posture pure et simple. On jurerait que Ducournau avait sous les yeux une liste de scènes à cocher pour parfaire son idéal de film d’horreur chic et dégénéré. L’automutilation ? Check. Les écoulements vaginaux noirâtres ? Check. Les meurtres à coups d’aiguille à tricoter ? Check. Tout cela en dépit de toute exigence narrative, et surtout en dépit de notre empathie.

Chris Ware est-il un génie de la BD ?

Chris Ware vient d’être récompensé, en France, par le grand prix de la ville d’Angoulême. Comme ce prix, qui existe depuis près de cinquante ans, a aussi été accordé à Bilal, Boucq, Brétécher, Will Eisner, Franquin, Jean Giraud/Mœbius, Goossens, Emmanuel Guibert, Jijé, Pellos et Trondheim, entre autres, on peut dire qu’il n’est pas accordé à la légère (et que ça manque de femmes, c’est un vrai problème…). Cela faisait plusieurs années que Ware était finaliste et que les dessinateurs ne votaient pas pour lui?: trop intello, trop élitiste, trop américain, pas assez engagé, pas assez connu?? Un peu tout ça. Dessinant depuis l’enfance, publiant depuis plus de trente ans, Chris Ware s’est vite fait remarquer par les acteurs de la bande dessinée indépendante (comprendre?: sans super-héros), comme Art Spiegelman (Maus) et l’éditeur Fantagraphics, par ses histoires surprenantes où la narration prend visiblement le pas sur le sujet raconté, puis par son goût pour les héros moyens, contemporains qu’il place dans des situations moyennement douloureuses mais bien pénibles. Multipliant les formats, n’étant publié en France que sous forme de recueils ramassant plusieurs années de parutions, Ware n’est pas grand public mais les journalistes l’adorent. Avec lui, on sent que la bande dessinée est de l’art, de l’art intelligent et assez à gauche puisque l’American Way of Life en ressort cabossé, sans parler de l’American Dream. Chris Ware en est-il un authentique génie?? Richard de Seze a pesé le pour et le contre.

Lire aussi : De Chlorophylle à Pepe the frog : La guerre idéologique en bande dessinée

OUI. IL NE RECULE DEVANT RIEN

Qui a lu Quimby the Mouse, paru en 2005 à L’Association, le sait?: Ware ne recule devant rien. Ses livres, qu’il pense, dessine, colorie, lettre et édite lui-même, en surveillant avec un soin paranoïaque chaque étape de la production, sont un mélange d’histoires mélancoliques, de commentaires de second degré écrits en corps 6 dans des endroits improbables, de fausses publicités et de découpages, comme dans les magazines illustrés pour enfants des années 20 à 50. Le classique côtoie l’expérimental, exigeant du lecteur un effort incessant pour s’ajuster en permanence aux systèmes narratifs qui se succèdent et parfois se mélangent. Ardu, mais gratifiant?! Remarquons d’ailleurs qu’en vieillissant l’expérimentateur a laissé la place au classique?: désormais maître de son expression, il a abandonné le radical pour ne garder que sa capacité à conceptualiser le temps qui passe, les pensées intérieures, le choc de la réalité, toutes choses utiles quand on raconte la vue d’un petit-bourgeois américain médiocre, triste et roux – Rusty Brown – ou médiocre et dégarni – Jimmy Corrigan. [...]

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Désigné coupable : notre critique

Voici l’histoire vraie de Mohamedou Ould Slahi, un Mauritanien que son pays a livré aux États-Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et qui resta emprisonné de longues années à Guantanamo sans inculpation ni jugement. Annoncé comme favori à l’Oscar du meilleur acteur, le Français Tahar Rahim est finalement reparti bredouille, doublé sur la ligne par Anthony Hopkins.

Lire aussi : Annette : notre critique [...]

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Sartène, capitale de l’héritage impérial !

De grands spécialistes du Consulat et du Premier Empire seront présents pour évoquer un aspect qui fait l’objet à la fois de lourdes critiques mais aussi de vives reconnaissances, celui du legs laissé par Napoléon dans notre vie quotidienne, 200 ans après sa mort ! David Chanteranne, Jacques-Olivier Boudon, Gilles Wauthoz, ou encore Jean-Baptiste Noé de la revue Conflits ont répondu à l’invitation de Bertrand d’Ortoli, adjoint au maire de Sartène, d’Olivier Battistini et d’Antoine-Baptiste Filippi pour rencontrer le public sartenais et plus largement le public insulaire passionné par la vie de l’Empereur.  

Pour les organisateurs : « Les Rencontres napoléoniennes se concentrent désormais uniquement sur Napoléon Bonaparte. […] La trilogie “Alexandre le Grand/Napoléon Bonaparte” – des rencontres de 2015, 2016 et 2017 – est close car elle a atteint son but, à savoir mettre Alexandre le Grand et Napoléon Bonaparte en harmonie sur le plan du politique, de l’art de la stratégie et celui de la parole. […] Les deux Rencontres suivantes se sont intéressées à “Napoléon et l’Italie” et à “Napoléon, les origines”. En 2020, le thème [était] tout aussi ambitieux : “Napoléon, le politique, la puissance, la grandeur” ». 

Cette cité de Sartène, recroquevillée sur elle-même, conçue selon la coquille d’un escargot avec ses vieilles et grandes bâtisses est le cadre idéal pour songer aux civilisations, aux empires et à notre époque

[...]
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Benedetta : la transgression du boomer

Benedetta est une enfant promise au couvent par son père. Dès l’ouverture, Verhoeven le surligne : la petite brune est différente, quasi mystique. Les rossignols sur son ordre chantent et chient sur l’œil des brigands, surtout s’ils sont borgnes, et lorsqu’elle demande de l’aide « à sa mère » au pied d’une statue de Marie, la sainte vierge lui tombe dessus pour lui donner le sein. On connaît le goût du Hollandais pour le symbolisme, faut avouer qu’il démarre fort le bougre.

Arrivée au couvent, la mère abbesse à qui Charlotte Rampling prête son regard d’acier négocie avec le papa. « Vous amenez à Jésus une nouvelle épouse » demande-t-elle ? Qui dit épouse dit dot : et oui en Toscane, les vocations naissent à coup de biftons, et la petite Benedetta monnayée tel un chameau aura droit à son voile pour plus de cent écus. Pour l’habit, il faut attendre. L’argent ouvre les portes mais n’accélère pas les délais, et en guise de vêtement, on lui refourgue des haillons qui grattent. « Ton corps est ton pire ennemi » lui répond une sœur. La voilà bien punie. Malin, le Hollandais prépare le terrain.

Lire aussi : Annette : notre critique

Dix-huit ans plus tard, Benedetta la petite brune est devenue une grande blonde. Premier miracle. Elle joue un spectacle devant ses parents revenus pour l’occasion, et fait la morte. Jésus apparaît la barbe brushinguée et la chevelure au vent, il gambade avec les brebis dans un pré aussi crédible qu’Anne Hidalgo en couverture de Paris Match à la campagne. « Tu es mon épouse » lui dit-il. On aura compris, Benedetta a chaud à la truffe. Manque de pot, c’est là qu’apparaît Bartolomea. Elle fuit son affreux papa qui la cogne et se jette aux pieds de la jeune nonne en la suppliant de la garder au couvent. Mais elle n’a pas un radis et la mère abbesse tient toujours une calculette. « Ça sera mon cadeau » dit le père de Benedetta en payant la caution. On a bien envie de lui souffler que son cadeau ressemble furieusement à une pomme perdue dans le Jardin d’Éden, mais non. On ne peut pas. Paul Verhoeven verrouille tout, son script est rectiligne comme une ligne de métro, il n’y a pas de bifurcation possible.

Lui le cinéaste du trouble, l’athée obsédé par le péché originel qui fait danser le grotesque avec le tragique, le vice avec la vertu, se révèle soudainement aussi didactique et prévisible qu’un vieux boomer. « J’ai besoin de chier » dit Bartolomea à sa nouvelle copine. Et les voici toutes les deux sur des chaises percées. Un pet de nonne plus tard, c’est le premier bisou. On ne va pas tortiller de la caméra, surtout qu’à plus de quatre-vingt ans, Paul Verhoeven n’a plus beaucoup de temps, et son esprit divague. Alors il saute les obstacles tel un chamois en rut et, par le truchement des visions de la pauvre Benedetta qui à force de câliner Jésus sur la croix chope des stigmates et donc nécessite d’être soignée et surveillée, réunit les deux bonnes sœurs dans la même cellule. La finesse d’un bulldozer conjuguée au regard libidineux d’un vieillard à l’Ehpad.

Verhoeven a la bave aux lèvres et la couche qui fuite. Pépé a trouvé un bon prétexte pour se rincer l’œil gratos

Formellement, le cinéaste hollandais ne fait même plus d’effort. Les raccords sont grossiers et la caméra semble peser une tonne. Pourtant, on devine une idée derrière cet artifice. La mise en scène de la croyance – est-ce le diable, Dieu ou une manigance de Benedetta elle-même ? – combinée au jeu de pouvoir. Ce n’était qu’une illusion. Paul Verhoeven ne questionne plus, il veut choquer. Il déserte le hors-champ, confond l’audace avec l’esbroufe, et son théâtre devient du grand guignol.

La nonne prend du galon et remplace la mère abbesse. Sa nouvelle chambre offre une belle vue, une porte qui ferme et un lit double. Verhoeven a la bave aux lèvres et la couche qui fuite. Pépé a trouvé un bon prétexte pour se rincer l’œil gratos. Il nous rejoue La Vie d’Adèle version Au nom de la rose mais les « doigts sont trop petits ». Qu’à cela ne tienne, Bartolomea transforme une statuette de la Vierge Marie en godemichet, « c’est un peu rugueux » répond l’autre en l’effleurant du doigt. Un polissage plus tard, elle jouit et une comète débarque au-dessus du couvent. Le lecteur de Libération n’en peut plus, il n’a jamais rien vu d’aussi transgressif. Évidemment, les deux lesbiennes vont se faire gauler, l’Église va débarquer avec un nonce qui ressemble au répurgateur joué par Elie Semoun dans la série Kaamelot. On vous épargne la suite : la transgression du boomer n’offre pas de surprise, seulement de la peine.

https://www.youtube.com/watch?v=WG-hIVwk16w
Annette : notre critique

Ça commence dans un studio d’enregistrement, quelque part dans la Cité des Anges. On branche les guitares, on tourne les potards, les tensiomètres s’excitent, quelque chose grésille dans l’air, l’imaginaire retient son souffle. Les regards, concentrés, se tournent vers le groupe qui occupe la cabine insonorisée. « May we start ? » questionne l’ingé-son. Le chanteur du groupe, un sexagénaire aux yeux pétillants, en fera immédiatement son refrain : « So may we start ! » entonne-t-il en forme de réponse à l’injonction du maître d’œuvre, alors que le groupe, débordé par l’énergie des commencements, finit par sortir de l’immeuble, emmenant au passage les protagonistes du film, comme sortis d’un chapeau invisible.

Lire aussi : La Pendue : rêver avec Carax

La grande procession du cinéma de Carax peut commencer, déjà gorgée d’électricité : musiciens, acteurs et figurants scandent à leur tour cet ordre originel, mantra de la création, prescription démiurgique transformée en ritournelle pop. Toute la poétique de Carax s’inscrit ici, dans cet imaginaire élégiaque qui prend forme devant nous, dans ce plaisir presque enfantin qui consiste à montrer les coutures, l’envers des masques, à révéler ses secrets de fabrication et à jouer sur toutes les tonalités du faux. Pas de vérité sans un spectacle qui la contredise radicalement, semble nous dire Carax, qui professe à chaque plan cette reconnaissance de l’artifice comme force prééminente, capable de débroussailler le réel, de révéler l’authentique. [...]

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La Pendue : rêver avec Carax

Pourquoi Leos Carax a-t-il voulu une marionnette comme personnage principal plutôt qu’une actrice ou un hologramme ? 

Romuald Collinet : Le scénario de base provenait du groupe Les Sparks et dans ce scénario, le personnage d'Annette est une enfant âgée de 0 à 5 ans tout au long de l'histoire. Il était difficile de le faire interpréter par une comédienne, d'autant que l'enfant en question possède des pouvoirs surnaturels. L'équipe a commencé à avancer sur la piste des images de synthèse, mais une marionnette correspondait mieux à la poésie que visait Leos Carax. Ils ont donc cherché des marionnettistes pendant trois ans, je crois, et à l'autre bout du monde pour finalement rencontrer Estelle à Paris.

Et comment cette rencontre s’est-elle déroulée ? 

Estelle Charlier : Au début, Leos Carax cherchait plutôt des manipulateurs que des constructeurs. Il avait déjà beaucoup de propositions et il n'avait donc pas encore choisi son sculpteur pour le visage d'Annette. Son modèle de départ, c'était la photographie d'une petite fille ukrainienne qu'il avait rencontrée vingt ans plus tôt. Son visage très particulier m'a également fascinée. Je lui ai donc proposé de tenter quelque chose, et quelques semaines plus tard, quand je lui ai envoyé les photos de ma création, il a été touché, parce qu'il les trouvait très expressives et c'est ainsi que j'ai rejoint l'équipe.

Le surgissement du visage n’a donc pas été immédiat… 

E.Charlier : Non mais je me souviens qu'à la première réunion à laquelle j'ai assisté, Leos avait déjà presque adopté le demi masque d'Annette que j'avais élaboré. Elle paraissait cependant trop âgée et il y avait, bien sûr, des retouches à faire. Ce prototype fonctionnait, mais j'ai vite pris conscience que ce chantier marionnette était énorme, qu'il me fallait du soutien, alors j'ai présenté Romuald à Leos et son ancien producteur.

Avez-vous déjà eu une première expérience du cinéma et connaissiez-vous l’univers si singulier de Carax ? 

E.Charlier : J'ai été comédienne dans des courts-métrages, étant plus jeune, c'est pratiquement ma seule expérience dans le cinéma. Je suis une spectatrice dévouée et j'admirais Carax depuis toujours, j'attendais ses films avec impatience. [...]

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Fisherman’s Friends : notre critique
Danny, un producteur de musique londonien branché se rend en Cornouailles pour un enterrement de vie de garçon. Quand son patron et ami lui lance le défi de faire signer un contrat aux pêcheurs du coin pour un album de chants de marins, Danny tombe dans le panneau. Bien loin de ses repères citadins, il tente tant bien que mal de gagner la confiance de cet improbable boys band, qui accorde plus d'importance à l'amitié qu'à la célébrité. [...]
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