


Portrait très commenté de l’annulation d’une cheffe d’orchestre qui donne son titre au film, Tár impressionne autant qu’il laisse perplexe. Rançon de sa maestria, le spectateur est rapidement pris dans un labyrinthe qui n’oublie jamais son Minotaure. Le film précédent du rare Todd Field, Little children – seize ans entre les deux – dénotait une hystérie puritaine occultée jusqu’à un final qui ne laissait guère de doute : tout désir non socialement admis mérite la punition. Celle-ci viendra également dans Tár, de façon programmatique mais maquillée par une structure éclatée qui brouille la réception des informations.
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Très documenté, le film fourmille de références pointues sur la direction d’orchestre qui passeront allégrement au-dessus de la tête des non-mélomanes, choix surprenant pour un film hollywoodien, même d’auteur. Chez Field, la réelle sophistication de l’écriture sert un but univoque mais déguisé : clouer au pilori qui outrepasse les limites. Tár est comme écartelé entre un couple de films qui nécessitent tous deux une revoyure pour en bien discerner les enjeux : Mulholland Drive et Caché. Du premier, il retient le saphisme et les relations de pouvoir dans un milieu artistique – beaucoup moins réfrigérés chez Lynch – une vision non-linéaire de l’espace et du temps, avec d’étranges chausse-trappes, ainsi qu’une atmosphère de culpabilité latente qui s’attache au personnage principal. [...]
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Mon souvenir le plus ancien d’Iggy Pop remonte à mon enfance, lorsque mon grand-frère regardait avec obsession le film Trainspotting sur la télévision familiale. À pas feutrés, j’arrivais à rejoindre le salon, parfois en rampant au sol pour me cacher derrière le canapé et regarder secrètement quelques passages du film maléfique. Je n’oublierais jamais l’effet qu’a eu sur moi la scène d’ouverture où l’on découvre certains des personnages, ces junkies d’Edimbourg poursuivis par des policiers à la suite d’un vol. Cette excitation, je l’ai compris plus tard, était en partie créée par la musique que l’on entend. Cette musique, c’est « Lust For Life » d’un artiste qui porte le nom étrange d’Iggy Pop.
Si l’origine de son nom de famille est suédoise, la vie d’Iggy est loin d’être aussi rangée qu’un magasin IKEA. Il grandit dans un parc de caravanes et commence à apprendre la batterie à 10 ans
Naissance de l’iguane
James Newell Osterberg Jr. naît le 21 avril 1947 dans l’État du Michigan. Si l’origine de son nom de famille est suédoise, la vie d’Iggy est loin d’être aussi rangée qu’un magasin IKEA. Il grandit dans un parc de caravanes et commence à apprendre la batterie à 10 ans. Quelques années plus tard il démarre sa carrière musicale en tant que batteur du groupe The Iguanas (c’est de là que lui vient son surnom d’« Iguane »). Il abandonne ensuite la batterie et forme The Stooges aux côtés des frères Asheton et de Dave Alexander. Inspiré par The Sonics, MC5 ou The Doors, le groupe se fait rapidement connaître pour la puissance de son son mais surtout pour les prestations scéniques d’un Iggy Pop qui n’hésite pas à repousser toutes les limites en se mutilant, en vomissant ou en se jetant dans la foule. Leur premier album sort en 69. [...]
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Oui, ces dernières années, j’ai vu quelques films français, dont certains très bons, et j’y ai croisé pas mal de personnages qui m’ont bien semblé en être les héros. Des policiers qui doutent – dans Roubaix, une lumière, dans Bac Nord, dans La Nuit du 12 – c’est-à-dire des types qui enquêtent, écoutent, constatent l’horrible banalité du mal et finissent parfois par en prendre une partie sur leurs épaules, lointains héritiers des curés de Bresson (et donc de Bernanos). Notez que ça ne fonctionne pas toujours parfaitement.
Ainsi La Nuit du 12 de Dominik Moll, sorti l’été dernier, partait sur une idée forte : avec son crime non résolu, le film semblait nous confronter à l’éternelle opacité du monde, celle qui se refuse à donner raison aux interprétations qu’on aimerait tant lui imposer pour se rassurer. Malheureusement, ce vertige, le film y renonce lui-même au profit d’une résolution paresseuse, et paresseusement martelée : les femmes sont les éternelles victimes de la méchanceté des hommes. Sans compter que le héros y porte à plusieurs reprises une tenue de cycliste moulante, ce qui est tout de même rédhibitoire. Roshdy Zem, dans Roubaix, une lumière, s’en sortait mieux. De même que Desplechin pour approcher la question du mal. Héros, quoi qu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre ? Sans aucun doute.
Ni l’homme-fourmi ni la femme-lézard tant aimés des adolescents de tous âges ne sont les exacts équivalents, pour notre temps, de ce que furent Ulysse, Hélène ou Achille pour les Grecs d’autrefois
D’autres encore ? Oui, des paysans qui souffrent (dans Petit Paysan d’Hubert Charuel, dans Louloute d’Hubert Viel). Des amoureux indécis, dans les merveilleuses comédies d’Emmanuel Mouret. Des frappadingues, chez Pierre Salvadori. Des paumés magnifiques, chez Delépine et Kervern. Et puis Jean Dujardin, sauvant tantôt Dreyfus (chez Polanski), tantôt Paris (chez Jimenez), tantôt la France (chez Hazanavicius). Ce n’est pas si mal. [...]
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En quoi l’écrivain devenu « agent social » n’est-il pas en position de servir la littérature ?
Disons qu’il ne se facilite pas la tâche... Dès qu’un artiste entend devenir utile à une société qui ne sait plus comprendre les vertus de tout ce qui l’excède, de tout ce qui fonde la dépense au sens que Bataille donnait à ce terme (art, sacré, érotisme, rire, etc.), il perd une bonne partie de sa raison d’être.
Quelles sont les conséquences d’une situation où la littérature de qualité est exclusivement entre les mains de professeurs ?
Un inévitable appauvrissement du champ de l’expérience humaine. Je suis mal placé pour critiquer le fait que des professeurs écrivent : ils ont encore un peu de temps pour le faire, et le mérite de lire de bons livres (c’est de moins en moins vérifiable, mais bon). Seulement, ils connaissent le monde comme le connaissent les professeurs. C’est très bien, mais cela nous laisse orphelins de pas mal de choses.
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A-t-on substitué le critère moral à tout critère esthétique et pourquoi ?
Ce serait excessif de le prétendre : je caricature pour m’amuser. Il s’agit néanmoins d’un risque permanent pour l’art. Comme on est bien en mal, dans une société aussi soucieuse que la nôtre d’efficacité, de rentabilité et de responsabilité, de justifier une activité sous prétexte qu’elle aurait comme but final la beauté, on lui trouve en magasin quelques étendards plus au goût du jour. [...]
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À chaque sortie de concert, je pense à cette scène de La Recherche où le narrateur se rend pour la première fois au théâtre avec ses parents pour y voir la Berma jouer Racine. S’il est fasciné par la faune mondaine, qu’il dévisage et décrypte avec cette manie singulière qui le caractérise, il est aussi et surtout déçu par le décalage entre ce qu’il espérait voir et ce qu’il découvre. Il en est bien souvent ainsi pour les êtres imaginatifs qui se perdent en songes avant de chuter dure- ment sur le réel. Il en est aussi ainsi à chaque fois que je passe la porte de ces temples soniques, des Zéniths aux Olympias du monde entier. Durant toute mon enfance, à la manière du petit Marcel et de quelques milliards d’autres gamins, j’ai fantasmé ces lieux qui m’étaient interdits. La vérité, c’est que l’on est toujours déçu de ce qu’on espère, tôt ou tard.
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La première fois que je marchais, accompagné de mon grand- frère, tout excité et plein d’une innocente adrénaline, vers l’immonde Zénith de la Villette (qui devait être à mes yeux, à ce moment, une promesse de bonheur inouïe) fut également la première fois où je découvrais ces vendeurs à la sauvette, comme un signe avant-coureur de la débâcle à venir. Places, posters, badges ! Il fallait bien avouer que la qualité de ces objets n’était pas vraiment exceptionnelle. Arrivés devant, et avant d’entrer, un premier contact avec la foule permet de découvrir les propriétaires des aisselles contre lesquelles notre nez sera collé (ou les porteurs de coudes qui frapperont nos pommettes, au choix). Chacun se raconte des anecdotes pro- venant des concerts précédemment fréquentés. Pour ceux qui n’ont rien de particulier à dire, le mieux à faire est de se saouler dans la file d’attente en hurlant. [...]
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Avec un art consommé du soft power, le cinéma américain glorifie le Vietnam (une raclée), exalte les guerres d’Irak (un scandale), et même les échecs assumés (La Chute du faucon noir) prennent des airs d’épopée. En France, malgré les combats de Saumur, malgré la Résistance, malgré notre victoire militaire en Algérie, malgré Bouvines et Austerlitz, malgré nos capacités expéditionnaires (y compris récentes) et le courage de nos soldats, on ne sait faire que La Septième compagnie et en trilogie, encore, au cas où le message ne soit pas passé la première fois, et La Grande vadrouille. Ou alors, il y a Indigènes : les fameux tirailleurs qui ont libéré la France malgré le mépris colonial. On fait une deuxième partie sur les « maroquinades » de l’armée d’Afrique en Italie ? Chiche.
L’exception Schoendoerffer
Heureusement, dans ce paysage déprimant, trois noms sauvent l’honneur. D’abord l’incontournable Pierre Schoendoerffer, reporter de guerre en Indochine, excellent connaisseur de la chose militaire, dont les films exaltent le sacrifice, le panache, l’amitié, le courage, la loyauté et toutes ces choses qui font bâiller d’ennui la jeunesse KFC- TikTok. On peut par exemple, parmi dix autres monuments bien connus des petits garçons de droite, voir ou revoir Dien Bien Phu (musique célèbre et sublime de Georges Delerue), tourné il y a trente ans et qui n’a pas vieilli. On y passe de la stratégie à la tactique, de l’effondrement d’un art de vivre – dont la nostalgie étreindra toute sa vie un Hélie de Saint-Marc – à l’héroïsme brut de soldats qui donnent leur vie à la France avec la manière.[...]
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