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Hommage à Christopher Priest, pape de la « new wave » britannique

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Publié le

6 février 2024

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La littérature de science-fiction vient de perdre un de ses visionnaires : Christopher Priest, plus discret que James Ballard, moins ostentatoire qu’un Iain M. Banks, n’en reste pas moins une figure essentielle de l’imaginaire britannique, avec une œuvre à la fois exigeante et hors-norme.
© DR

Nous avions rencontré l’homme aux Utopiales de Nantes en 2018. Réservé, humble et d’une grande courtoisie, il s’était montré particulièrement patient avec le journaliste débutant que j’étais, apparemment aussi mal à l’aise que votre serviteur dans ces grands raouts bruyants que sont les « conventions » de SF – avec leurs armées de geeks braillards et ravis de la crèche (cosmique). Si le grand public connaît Christopher Priest principalement pour Le Prestige, adapté au cinéma par Christopher Nolan et qui reste d’ailleurs son meilleur film à ce jour, le romancier britannique, né en 1943 dans la région de Manchester, reste relativement confidentiel pour les lecteurs non-avertis. Ce fut pourtant une figure emblématique de la new wave britannique, une science-fiction incarnée et qui entendait bien se démarquer des grandes sagas galactiques à l’américaine, voire de la hard science et de sa prospective parfois laborieuse, pour explorer un imaginaire à échelle humaine, qui s’attarderait davantage sur la psychologie tout en déployant des hypothèses scientifiques crédibles, capables de mettre l’humain face à ses névroses prométhéennes.

Avec son approche minutieuse des personnages, sa capacité à bâtir des intrigues chorales et la virtuosité de ses structures narratives, Priest s’est tout simplement imposé comme un des meilleurs écrivains britanniques de ces 50 dernières années

Vieux fantasme de l’écrivain de SF que partage tout une génération, depuis Samuel Delany jusqu’à Robert Charles Wilson : crever le plafond de verre de la littérature de genre et prouver enfin, que la SF n’est jamais qu’un dispositif littéraire expérimental, sans doute le meilleur lorsqu’il s’agit de définir l’humain. Ainsi, depuis son premier roman, une étonnante dystopie mathématique où la Terre n’est pas une sphère – mais une hyperbole (Le Monde Inverti) –, Priest questionne les moyens de (ré)habiter un monde que la technologie a rendu exsangue, illisible, dilué dans cet « aquarium des possibles » cher au mathématicien Gilles Bachelet. Signalons aussi Les Extrêmes, techno-thriller magistral doublé d’un portrait de femme bouleversant, où les réalités gigognes empruntent autant à Philip K. Dick qu’à Twin Peaks, ou encore La Séparation, incroyable roman uchronique autour de la Seconde Guerre mondiale, une vertigineuse réflexion sur l’Histoire qui rappelle aussi bien Le Maître du Haut Château que Central Europe de William Vollmann. Avec son approche minutieuse des personnages, sa capacité à bâtir des intrigues chorales et la virtuosité de ses structures narratives, Priest s’est tout simplement imposé comme un des meilleurs écrivains britanniques de ces 50 dernières années, tous styles confondus.


Ci-dessous notre entretien de Christopher Priest en 2018 :

Quel regard portez-vous sur la science-fiction en tant que genre, alors qu’elle est devenue en quelques décennies une véritable culture de masse ?

La science-fiction, (ou comme je me plais à la définir, la fiction spéculative), a été effectivement marchandisée, mais la nature profonde de la littérature fantastique est inchangée. Elle doit être pensée et conçue avec la plus grande rigueur. Le genre doit répondre à l’impératif d’une pensée originale et sans cesse imaginative, et se doit d’être écrit selon les normes littéraires les plus élevées de la fiction moderne. Le combat n’est ni gagné ni perdu. Même si je suis un peu las de répondre à des questions de journalistes comme « Pourquoi écrivez-vous de la science-fiction ? », après toutes ces années, je m’y suis habitué et je connais quelques bonnes façons de les subvertir.

Certaines prédictions parmi les pires de la SF des années 70 sont aujourd’hui ringardisées par le réel. Que peut encore la SF face au monde ?

Au fond quelle importance si quelqu’un avait prédit les casques VR, les implants cognitifs, les manipulations génétiques ? C’était déjà des espèces de super gadgets plutôt faciles à deviner il y a vingt ans.

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De tels détails sont finalement assez peu significatifs au regard d’une littérature qui les utilise avant tout comme des « métaphores fantastiques ». La poétique d’une œuvre de SF se livre ainsi, métaphoriquement et en termes « contemporains », que les lecteurs peuvent assimiler, décoder, réimaginer selon leurs propres usages, sans avoir à connaître au préalable les concepts, le jargon d’œuvres antécédentes. L’appropriation intellectuelle en est facilitée, c’est que la SF prend tout son sens.

Vous êtes considéré comme l’un des pionniers de la new wave de science-fiction. Aujourd’hui, que vous inspire ce mouvement ?

Tout d’abord, la New Wave a été de courte durée – et elle est ancienne : la plupart de ses représentants exerçaient il y a plus de 50 ans. De plus il n’y avait pas à proprement parler de « mouvement » au sens littéraire. Il s’agissait davantage d’un climat dans lequel certains écrivains ont pu se développer et développer leur travail, tout en captant un public réceptif à celui-ci.

La plupart de vos livres traitent d’une perception différée du réel, en partie à cause de la technologie. Plus que la fin des temps, devons-nous craindre la fin de la réalité ?

Le changement majeur dont tout le monde est coupable est bien celui de la flat democracy, celle des médias sociaux, des sites web de partage d’images…Tout cela nous paraît assez inoffensif individuellement et isolément, mais cela génère globalement une révolution sociale et culturelle aux proportions historiques terrifiantes. Nous devrions tous, dès maintenant, quitter les médias sociaux pour toujours et nous concentrer sur le seul sujet qui compte : la destruction de notre environnement. Sinon, nous tweetons pendant que le monde brûle.

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