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Éditorial culture de Romaric Sangars : Morale de l’affaire Tesson

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Publié le

7 février 2024

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« La pétition, ce genre littéraire de gauche qui consiste à signer en nombre trois paragraphes ineptes pour transformer son lynchage en charge héroïque. » Éditorial culture du numéro 72.
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Les « affaires » germanopratines ont remplacé depuis vingt ans les scandales formels. Auparavant on se bat- tait pour une ligne, une forme, un angle, un accord… En 1830, la bataille d’Hernani se livrait au sujet du drame de Victor Hugo, quand une épithète rejetée au début du deuxième vers déclenche une bagarre générale. À l’époque, les modernes sont jeunes et réacs quand les classiques sont vieux et républicains. En l’occurrence, la raison de la querelle n’est pas politique mais formelle : on reproche au jeune Hugo de subvertir l’alexandrin, pas les Droits de l’homme.

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Mais ce siècle puritain va bientôt revenir aux procès moraux : Baudelaire, le disciple de Joseph de Maistre qui méprise les progressistes et révolutionne la poésie, est attaqué pour atteinte aux bonnes mœurs, et défendu par Barbey d’Aurevilly, le dandy royaliste. L’affaire Flaubert est plus ambiguë, dans le sens où c’est un procès mi-moral mi-formel qui touche autant à la promotion supposée de l’adultère qu’à l’emploi du style indirect libre, lequel, dans Madame Bovary, instaure une connivence entre le personnage « coupable » et le narrateur.

À Paris, au XXe siècle, les polémiques furent formelles, surtout. On attaqua la rime, le cadre, le musée, la raison, l’intrigue, la syntaxe, le réalisme, l’harmonie… Puis on revint à la morale. Dans les pays totalitaires, en URSS comme en Allemagne nazie, on avait déjà remis au pas les avant-gardes jugées «bourgeoises, individualistes et dégénérées », mais il ne s’agissait pas de polémiques, ni de procès, simplement, brutalement, par générosité socialiste, de formatage autoritaire. En 1998, la France commença de revenir à la morale en art, avec le succès des Particules élémentaires de Michel Houellebecq. La configuration actuelle s’instaura: ce n’était plus l’État qui se braquait (devenu ultra-libéral, il était globalement post-éthique) mais des intellectuels vaguement légitimes, et les membres de la revue Perpendiculaire, complètement oubliée aujourd’hui, où écrivait Houellebecq, tentaient de faire de son exclusion un événement, comme si on était encore chez André Breton.

En 1998, la France commença de revenir à la morale en art, avec le succès des Particules élémentaires de Michel Houellebecq

Le péché consistait déjà dans le fait de s’être montré « réactionnaire » mais on attaquait encore le style autant que le fond et, en l’occurrence, le retour au « roman à thèse » de Houellebecq comme sa critique de 68. En réalité, la critique de 68, surtout si complète, était inédite, et le recours à une forme froide et démonstrative mais recyclée dans le prisme d’une ironie dévastatrice pour attaquer une époque subjective, verbeuse et auto-hypnotisée était une réplique géniale au conformisme en cours. Chose alors incompréhensible pour les hippies attardés des ultimes avant-gardes de ce temps.

L’affaire Tesson montre une évolution brutale du phénomène. Désormais, il n’est plus du tout question de forme, uniquement de morale. Le « réac » est celui qui ose adultérer l’évangile multiculturel, collectif et progressiste. Selon la gauche, ce n’est pas une opinion divergente mais la preuve qu’on est un « salaud », on ne se situe donc pas tant sur le plan politique que sur le plan moral. En face, ce n’est pas cinq intellectuels confidentiels et néanmoins cultivés, ou cette vieille folle d’Annie Ernaux et sa meute, comme au temps de l’affaire Millet, mais 1200 débiles la pierre à la main qui hurlent: «Facho!» pour se donner un genre. Oh la belle pente. C’est à ça qu’on mesure l’idéologie du progrès. Plus personne n’a d’argument esthétique, l’indigné est juste en colère parce qu’un être selon lui immoral a été distingué par une institution dont il voudrait être le seul bénéficiaire puisqu’il n’a pas de public et quoi qu’il prétende également n’avoir pas de morale.

L’affaire Tesson a été préparée par un an de propagande d’extrême gauche, notamment par le « journaliste » du Monde François Klug qui, l’an dernier, dans un livre à charge, amalgama Houellebecq et Tesson à la fois entre eux et avec Céline, Morand et Maurras (n’importe quel lettré s’esclaffe) afin d’en finir avec cet immoral succès des écrivains de droite, du moins des écrivains indifférents aux soucis de la gauche et critiques d’une certaine modernité. Les approximations et les mensonges de Klug ont été repris par les pétitionnaires de Libération, notamment sur le fait que Tesson aurait préfacé Le Camp des Saints de Raspail (c’était faux, en revanche, il est vrai que Libération, en 1977, préférait abriter une pétition pro-pédophile qu’anti-Tesson, c’est ça de se vendre fiévreusement, toujours, à la dernière mode). La pétition, ce genre littéraire de gauche qui consiste à signer en nombre trois paragraphes ineptes pour transformer son lynchage en charge héroïque. Au bout d’un moment, tout de même, ça commence à se voir.

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Surtout quand la cible est Sylvain Tesson, populaire, humble et plutôt dans le recours aux forêts que dans l’interpellation politique. Si bien que pour la première fois depuis vingt ans, on a vu des écrivains et intellectuels de gauche se désolidariser de ce prétendu front antifasciste. Et Libé publier les désaveux à la pelle comme pour se faire pardonner. Pourquoi pas avant ? Les lynchages avaient-ils meilleur goût en 2010? Étaient-ils moins risqués? Moins flagrants? On vient de découvrir la tolérance? Le Camp du Bien a des scrupules? Non, ça commence à se voir, c’est tout, les dégâts causés par un demi-siècle de tartufferie progressiste. Poursuivez, camarades, passez la seconde, accélérez : le mur du réel n’est pas loin, où sont inscrites les plus voyantes de vos contradictions.


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