Quels pouvoirs l’article 16 donne-t-il au président de la République ?
L’article 16 se montre sur ce point extrêmement lapidaire: il se contente de dire que le président pour prendre toutes les mesures « exigées par les circonstances », autrement dit par la crise que le pays est en train de traverser. Mais il est bien entendu que lui seul appréciera quelles sont ces fameuses « mesures exigées par les circonstances » – même s’il doit consulter le Conseil constitutionnel sur le contenu desdites mesures. Concrètement, précisait en 1961 le président de l’Assemblée nationale Jacques Chaban-Delmas, le chef de l’État concentre alors entre ses mains la plénitude des pouvoirs exécutifs et législatifs. Il assume en quelque sorte une « dictature de salut public », dans le but de mettre fin à la crise par des moyens qu’il choisira librement lui-même.
Pour quelles raisons a-t-il été pensé originellement par les rédacteurs de la Constitution ?
C’est à de Gaulle lui-même que l’on doit l’article 16, le Général ayant longuement médité, en 1940, sur les causes de la débâcle, qu’il imputait en particulier à l’impuissance constitutionnelle du président de la République de l’époque. Si celui-ci avait été en mesure de décider, il aurait pu envoyer le gouvernement en Angleterre ou en Afrique du Nord et continuer la résistance contre les armées allemandes. Mais il n’en avait pas le pouvoir, et on connaît le résultat. PROPOS RECUEILLIS PAR RÉMI CARLU PHOTOS DE BENJAMIN DE DIESBACH Voilà pourquoi de Gaulle a tenu à mettre en place cette procédure « dictatoriale », et à s’assurer qu’il n’y aurait aucun moyen de bloquer ou de suspendre la volonté du chef de l’État, lorsque celui-ci estime qu’une menace grave existe.
Suite aux législatives, quelles circonstances politiques pourraient pousser le président de la République à y recourir ?
La réponse est ouverte. L’article 16 précise que celui-ci est susceptible d’être mis en œuvre « lorsque les institutions la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire », etc, « sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». Mais là encore, il revient au président de la République et à lui seul d’apprécier si les institutions sont menacées d’une manière grave et si le fonctionnement régulier est interrompu. Qu’est-ce que c’est en effet qu’une menace grave et immédiate? À quel moment peut-on considérer que le fonctionnement régulier est interrompu? Pour ces deux conditions, cumulatives, c’est à lui de le déterminer, librement, en son âme et conscience, pourrait-on dire. Lors de la seule et unique utilisation de l’article 16 jusqu’à ce jour, en avril 1961, à l’occasion du putsch des généraux à Alger, ledit putsch n’entraînait d’interruption du fonctionnement des institutions qu’à Alger, et la menace qu’il représentait était d’une gravité toute relative. Le général de Gaulle a pourtant déclenché le mécanisme de l’article 16 alors que le putsch était sur le point de se terminer, et il l’a prolongé jusqu’à la mi-septembre, alors que les conditions juridiques de sa mise en œuvre n’étaient évidemment plus remplies. Tout ceci pour dire que le président de la République pourrait parfaitement considérer, au lendemain d’une victoire massive du Rassemblement national et des probables manifestations qu’elle susciterait, qu’une menace grave pèse sur les institutions de la République, et que leur fonctionnement régulier est interrompu. En 1967, déjà, certains, dans l’entourage du général, avaient évoqué l’article 16 en cas de défaite de la droite aux législatives de 1967.
« Un avis négatif du Conseil constitutionnel ne conduirait pas à interrompre la mise en œuvre de l’article 16, qui dépend entièrement de la décision présidentielle » Frédéric Rouvillois
Quelles sont les modalités de sa mise en œuvre ?
Combien de temps resterait-il en vigueur ? Les modalités se ramènent à la décision de mettre en œuvre l’article 16, puis de prendre les mesures « exigées par les circonstances », éventuellement à l’aide d’un gouvernement de techniciens: tout est possible. Quant à la durée de cette mise en œuvre, on a voulu la limiter à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2008. On a donc ajouté un dernier alinéa à l’article 16 afin d’éviter une prolongation injustifiée: après 30 jours d’exercice, le Conseil constitutionnel peut être saisi par les présidents des deux assemblées, 60 députés ou 60 sénateurs, pour examiner si les conditions sont toujours remplies; après 60 jours, même s’il n’est pas saisi, il procède de plein droit à cet examen, et dans les deux cas, il se prononce par un avis public. Mais même si cet avis était négatif – ce qui, vu les circonstances et l’orientation actuelle du Conseil constitutionnel, paraît peu probable –, il ne conduirait pas à interrompre la mise en œuvre de l’article 16, qui dépend entièrement de la décision présidentielle. Ce qui veut dire, concrètement, que le président Macron pourrait, le cas échéant, prolonger la mise en œuvre de l’article 16, au nom de la défense républicaine, jusqu’au 10 juin 2025 – date à laquelle il pourrait dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale, et cette fois, espérer une majorité favorable.
Lire aussi : Le bloc central s’offre un sursis
L’Assemblée nationale exercerait-elle un quelconque contrôle ?
Aucun. Tout ce que précise l’article 16, c’est que le Parlement se réunit de plein droit (alinéa 4), et que l’Assemblée nationale ne peut être dissoute (alinéa 5). En fait, le Parlement siège de façon ininterrompue, mais comme un pur et simple observateur, sans pouvoir intervenir ni dans la politique, ni dans la législation.
En cas de défaite aux législatives, Emmanuel Macron disposerait-il encore de la légitimité suffisante pour y recourir ?
La notion de légitimité n’est pas réellement juridique. En fait, si l’on s’en tenait fidèlement à l’esprit de la Ve République tel qu’il a été évoqué et pratiqué par le général de Gaulle, le président de la République, politiquement responsable devant le peuple souverain, serait obligé de démissionner en cas d’échec de ses amis politiques à une consultation électorale qu’il a lui-même provoquée en utilisant son droit de dissolution: il n’y a aucun doute sur ce point. Mais il n’y a aucun doute non plus sur le fait qu’Emmanuel Macron ne tiendra pas compte de cet esprit et qu’il restera à l’Élysée, se présentant comme le sauveur de la République et le gardien de l’État de droit face à la menace de l’extrême droite. Peu importe à cet égard qu’il n’ait plus aucune légitimité démocratique: si l’on s’en tient à la lettre de la Constitution, rien ne l’empêcherait d’aller jusqu’au terme de son mandat.