Dans une lettre du 26 juillet 1897, Auguste Scheurer-Kestner se définit comme « un bourgeois qui est passionné contre l’injustice ». Ce vieux lutteur de 64 ans vient d’entreprendre le combat le plus terrible de son existence. Né à Mulhouse en 1833, dans une famille protestante, il a créé à Thann la première usine chimique de France. Engagé dans les rangs républicains sous Napoléon III, ami et proche lieutenant de Gambetta, Scheurer-Kestner est élu député du Haut-Rhin le 6 février 1871. Il signe avec ses collègues alsaciens-lorrains une déclaration solennelle contre l’annexion à la Prusse. Le 2 juillet suivant, il devient député de Paris et fonde l’Union républicaine. Le 15 septembre 1875, il est nommé sénateur inamovible, ce qui fera de lui le dernier représentant de l’Alsace au parlement français. À bien des égards, Scheurer-Kestner incarne l’autorité morale et politique de la IIIe République, ce que vient confirmer son accession à la vice-présidence du Sénat, en 1894 : « Je représente une idée et je ne m’appartiens pas », dira-t-il un jour.
En cette même année 1894, à la condamnation de son compatriote Alfred Dreyfus pour trahison, ce patriote d’une parfaite rectitude, étranger à tout antisémitisme, a ressenti « quelque chose de vague et de douloureux ». S’il croit à la culpabilité du capitaine juif, il ne s’en explique pas les raisons. Il faudra l’intervention du journaliste Bernard Lazare et de Mathieu Dreyfus, le frère d’Alfred, pour qu’il s’interroge davantage. Patiemment, Scheurer-Kestner mène son enquête et se convainc qu’il y a eu erreur judiciaire. Il s’en ouvre auprès de son ami Jean-Baptiste Billot, ministre de la Guerre. « Le traître est bien un traître », lui répond celui-ci. Mais le vieux sénateur ne compte pas en rester là, au risque que sa « réputation soit livrée aux plus effroyables outrages ». [...]
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