On peut se lamenter. On peut évoquer des trémolos dans la voix nos calvaires au bord du chemin, nos chapelles moussues, nos cent vingt-trois mille saints, nos cathédrales de génie, nos cloches bronzées comme Sylvain Tesson de retour de voyage ; on peut répéter Marcel Gauchet et la religion de la sortie de la religion ; on peut contempler l’étendue du désastre avec Guillaume Cuchet ; on peut aussi classer les catholiques, des plus libéraux au plus observants, avec Yann Raison du Cleuziou ; on peut essayer de négocier comme Pierre Manent ; on peut répéter « tout est lié » avec le Pape François – ce qui est bien vrai – et tout en clamant que l’Église n’est pas une ONG dire en même temps qu’elle est un hôpital de campagne ; on peut dire accueil des migrants et écologie ; on peut dire Mère Teresa et Emmaüs. Mais on n’aura rien dit, ni rien fait encore.
On peut, comme Jean-Marie Rouart, dans la lignée de feu Tillinac, évoquer dans un petit livre touchant (Ce pays des hommes sans Dieu, Bouquins, 180 p., 19e) les élans mystiques de son enfance et sa première communion ; on peut redécouvrir de Maistre et Maurras en loucedé, et s’apercevoir que la franc-maçonnerie qu’on avait rejointe n’était pas si gentille que ça et conspirait pour détruire le catholicisme et partant la France. On peut avec Sonia Mabrouk réclamer que les catholiques soient plus affirmatifs dans l’expression de leur foi, ou pester en agitant ses lunettes rouges sur un plateau télé le matin, tel Pascal Praud, contre l’effacement des signes chrétiens. Mais on n’aura rien dit, ni rien fait encore.
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La foi catholique n’est pas un ingrédient identitaire comme les autres. Ou plutôt le catholicisme n’est constitutif d’une identité que si l’on en admet la véracité, la validité, les dogmes, la morale et les mœurs qu’elle induit. Ce qui n’est hélas guère le cas – sauf Charlotte d’Ornellas – de nos animateurs de plateau et autres intellectuels de pages débats et opinions.
Donc : on peut écrire des essais comme certains sondeurs sarkozystes pour prêcher le sens du sacrifice chrétien tout en admirant les musulmans, et n’avoir jamais donné l’exemple public d’aucun geste catholique ; on peut radoter pendant cent ans encore qu’il faut sortir de Vatican II, sans avoir jamais lu les textes de ce grand concile ni rien compris à son esprit, quoique Benoît XVI en ait expliqué dix fois l’herméneutique. On peut pester contre les lâchetés de nos prêtres et de nos évêques, ceux dont le dos tremble et qui face au ciel ont jugé ce que bon leur semble.
Croire que répéter que la France a des racines chrétiennes et que boire un pastis en terrasse en est bien la preuve est non seulement un raisonnement d’imbécile, mais encore et surtout de traître, au moins de lâche
Mais qui ira d’abord proclamer le fond de la foi catholique, sans doute trop complexe pour le contemporain qui lui préfère les faciles théosophismes évangélique ou musulman, proclamer dans les périphéries de l’existence les paroles de Jésus et de son Église ? Croire que ce monde tiendra sur des symboles et des histoires racontées est un fake. Croire que répéter que la France a des racines chrétiennes et que boire un pastis en terrasse en est bien la preuve est non seulement un raisonnement d’imbécile, mais encore et surtout de traître, au moins de lâche. Où sont les armées de catholiques prêts à témoigner dans la sueur et le sang de leur foi ? Sont-ils conscients du jeu qui se joue et dont ils ont été exclus ? Où sont-ils quand il faut exiger que la vie de la cité et les mœurs soient décalquées de leur évangile, et de rien d’autre ?
Certainement, ils ont manifesté – parce que c’était eux et eux seuls – contre le mariage pour tous en 2013, et ils ont perdu, se pensant forts dans la débandade. Il n’en reste rien. Non plus que de la fameuse « génération Jean-Paul II » qui eut son heure de gloire avec son million de gamins qui envahit les rues de Paris en 1997. Trente ans après, la « nouvelle évangélisation » n’est plus si neuve et, essoufflée comme une vieille cougar, attend la relève du soir qui ne vient jamais.
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Dans l’incroyable Young Pope de Sorrentino, le jeune pape américain qu’incarne Jude Law, rétablissant la sedia et rachetant la tiare, faisant à nouveau enfin de l’Église catholique l’immense vaisseau hiératique qu’elle aurait toujours dû demeurer, décide devant des cardinaux mis au pas que désormais ce ne serait plus à Elle, l’Église de Jésus-Christ de « s’ouvrir au monde », mais que ce serait à lui, le monde, de mériter d’entrer dans le véhicule du Christ sur terre. Que désormais la porte serait étroite et qu’il faudrait ramper pour la passer, dans l’humilité du pécheur. Bien entendu, c’est une fable et un vœu pieux : quel contemporain serait capable de savoir vraiment ce que serait l’humilité, celle qui a jeté jadis des grands seigneurs sur les routes des croisades, et fait d’une jeunesse dorée des Templiers, c’est-à-dire des moines-soldats, déjà morts au monde et capables de mourir à la bataille ?
Quel parti politique porterait ce discours? Aucun, bien sûr, et peut-être n’est-ce pas leur rôle. Car ils sont du monde, et y restent, et sont un petit peu nuls. Que faire ? « Il faut parler du mal, nous confie Yann Raison du Cleuziou. Il faut que l’Église et ses prêtres en parlent parce que c‘est ça qui a été oublié ». Le mal ? Quel mal? Il est évidemment partout, et particulièrement à l’intérieur de l’Église, à croire qu’un tunnel a été creusé entre l’enfer et le Vatican. Oui, l’Église est remplie de porcs, depuis le curé de paroisse faussement modeste et réellement tripoteur jusqu’au « prince de l’Église » empourpré qui organise des partouzes dans un 800 m² romain avec l’argent des bonnes sœurs. À moins que ce soit celui de la mafia.
C’est finalement dans la coupe du Christ, celle du sacrifice, et elle seule que le Français trouvera son salut. Il s’agirait de le lui faire savoir, et ça commence maintenant
Mais ce mal-là, comme le raconte dans ces pages Yrieix Denis, l’Église qui en demeure consciente malgré toutes ses saletés est capable de s’en nettoyer. Le vrai mal, celui qui est dans le monde et que le monde ne veut pas savoir, est l’ennemi véritable. Et le pauvre enfant de l’époque, quand il en est triste sans en savoir l’origine, ira chercher qui sait l’en débarrasser. La technique, la jouissance, le confort, la mort en fait, au premier rang de ses médicaments. L’autre truc qui fait régner l’ordre et fait croire qu’il est une foi, qu’on appelle l’islam, prendra bien sûr son bénéfice. Mais rien ne se passera parce que toutes ces machines n’ont rien à proposer.
C’est finalement dans la coupe du Christ, celle du sacrifice, et elle seule que le Français trouvera son salut. Il s’agirait de le lui faire savoir, et ça commence maintenant.