Pour son 3ème roman, l’écrivaine et militante féministe camerounaise Djaili Amadou Amal nous partage ici un récit bouleversant sur le calvaire des mariages forcés au Sahel. Amal, l’écrivaine africaine la plus lue ces dernières années remporte avec “Les Impatientes” le prix Goncourt des Lycéens 2020.
Djaili Amadou Amal n’est pas à son premier roman concernant la condition de la femme au Sahel. Il s’agit ici de son 3ème ouvrage, inspiré de sa propre vie. Le début du livre nous explique qu’il s’agit d’une fiction mais il est en réalité grandement inspiré des faits encore actuels en Afrique et particulièrement au Cameroun dont l’auteure est originaire.
Trois femmes sont décrites dans ce livre, chacune présente à sa façon les différentes facettes de la polygamie et du mariage forcé. On y retrouve Ramla, seule érudite de sa famille (diplôme de fin d’étude), amoureuse du meilleur ami de son frère, avec qui elle espère tout simplement se marier comme n’importe quelle femme rêvant d’amour. Comme toute femme, celle-ci est déjà promise ou du moins son mariage a déjà été décidé par son père et son oncle. Rappelée par les traditions de sa tribu, la jeune lycéenne doit renoncer à son amour. Nous suivons également le destin de Hindou, demi-sœur de la jeune femme précédente qui doit se marier avec la crapule du village : son cousin. Un homme violent qui ne cesse de vivre dans tous les excès : drogue, alcool, violence psychologique et sexuelle… Même si la jeune femme tente de fuir plusieurs fois, Hindou, réduite à son statut de femme doit retourner vers son mari pour éviter tout déshonneur à son père. Nous vivons également pour la troisième et dernière histoire, le destin de Safira, qui après avoir été la seule épouse de son mari durant 20 ans, se retrouve la “co-épouse” de Ramla. Une Jalousie s’installe et la violence volontaire prend alors le dessus sur la raison.
Pourquoi des Impatientes ? Ici les femmes sont réduites à des objets que l’on peut vendre et échanger à la guise des hommes. L’histoire de Hindou est ici le pôle central du livre car elle subit toutes sortes de violences : viol, tromperie, humiliation. Son destin est fourni de petits détails sur les traditions de cette société ultra-patriarcale et polygame qu’est la communauté peule, au Cameroun. Autour de toutes ces violences, nous pouvons découvrir l’impact de la famille qui ne réagit à aucune violence subie et prétend d’ailleurs à une certaine normalité. Sa mère souhaite conserver les traditions et n’intervient pas. Quant à son père, il la tient fautive de cette situation, et de la colère de son mari. Un monde cruel en somme où les femmes ne peuvent que subir et survivre. En plus de subir et de survivre, elles ne restent néanmoins pas solidaires entre elles, ne rejettent pas pour la plupart ce patriarcat, mais en sont d’ailleurs les principales protagonistes.
Les conseils d’usage, qu’un père donne à sa fille au moment du mariage et, par ricochet, à toutes les femmes présentes (…) ne se résumaient qu’à une seule et unique recommandation: soyez soumises!
Toutes ces femmes doivent “patienter” afin de trouver le bonheur, même si elles doivent subir les pires horreurs, les pires violences. “Munyal” ma fille, tu seras heureuse si tu deviens la 4ème épouse d’un homme de 50 ans de plus, que tu te fasses violer deux fois par semaine, que tu ne travailles pas, que tu ne puisses pas sortir sans la permission de ton mari. Patience patience… Tu dois souffrir pour être heureuse ! Quelle femme est heureuse ici ? Aucune des trois. Toutes doivent intérioriser leur douleur et accepter leur sort. “Patience” leur unique conseil en tant que femme car impensable d’aller contre la volonté d’Allah.. Obéir aux hommes est une obligation. Ne pas décevoir Allah est un commandement.
Chacun des trois récits raconte la question de la condition féminine dans ce contexte traditionnel. Le mariage forcé est le premier trait que l’on peut tirer du livre. Ramla a été tirée de son histoire d’amour pour se marier à un homme déjà marié. Hindou, mariée de force à son cousin lui faisant vivre les pires horreurs. Et Safira, mariée de force adolescente mais fortement amoureuse de son mari qui décida au bout de 20 ans de couple monogame à s’unir de nouveau avec une jeune femme de 17 ans.
Le viol est le second thème que l’on peut sortir du roman. Qui dit mariage forcé dit viol, et parfois inceste comme dans le cas de Hindou. Elle qui subit les abus de son cousin, sous emprise de drogue et d’alcool.
La Honte. Chaque geste, chaque pensée, chaque fait est calculé. Tout doit être contrôlé afin de ne pas générer de honte sur la famille, sur les aînés, sur les pères, les oncles, les maris et sur Allah. Les femmes doivent être invisibles et ne peuvent en aucun cas réfléchir par elles-mêmes. Les paroles des femmes ne valent absolument rien face aux hommes qui ont pour la plupart la parole de Dieu. Les hommes dirigent, les femmes ne font qu’obéir. Il n’est en aucun cas possible de s’imposer, de travailler et d’avoir un avis.
L’histoire de ce livre peut nous aider à comprendre l’implantation de l’ultra-patriarcat issue des pays africains en France. En faisant venir en France des millions d’hommes issus de sociétés ultra patriarcales comme décrites ici dans les “Impatientes”, il est possible que les traditions et les cultures soient directement importées et imposées. En France, en 2019, on estime qu’il y aurait 6,5 millions d’étrangers, soit 9,7% de la population dont 2 millions d’Africains sub-sahariens. Un chiffre d’ailleurs en constante progression. On estime également en Afrique, même si le chiffre est en baisse, qu’une jeune femme sur cinq est encore mariée de force, ce qui fait le continent le plus touché par ce fléau, avec 4 millions de mariages forcés en 2017. Si le nombre de mariages forcés en France est faible, il n’en reste pas moins inexistant. Entre 10 et 15 cas d’unions arrangées sont comptées chaque année par le Haut Conseil de l’intégration qui informe que 70 000 femmes françaises seraient potentiellement menacées en France. Le plus souvent il s’agit de mariage arrangé par les parents avec un membre de la famille vivant dans le pays dont celle-ci est originaire. Une Loi existe pour éviter ce désastre et prévoit notamment une peine de 3 ans d’emprisonnement et 45 000€ d’amende pour les personnes qui emmèneraient quelqu’un à l’étranger pour lui faire subir une union forcée et 5 ans de prison et 75000€ d’amende pour l’incitation à l’excision. Qu’en est-il du sort des femmes françaises subissant les violences de ces hommes ? Munyal, tu ne comprends pas leur culture.