Édouard Louis est un homme qui a beaucoup menti. C’est ce qu’il dit lui-même et c’est une dimension évidente de l’épreuve que constitue le fait de grandir avec une inclination homosexuelle dans le milieu très défavorisé qui fut le sien ; c’est encore un trait caractéristique du transfuge social n’assumant pas sa basse extraction que de dissimuler et d’avancer masqué ; et c’est encore le cas de la vedette littéraire construisant son mythe, intervertissant sur l’état civil son masque et son identité, Édouard Louis et Eddy Bellegueule, le sous-prolo de la France périphérique et le jeune prodige des lettres régnant sur le Paris de gauche, le bouffeur de frites maniéré, humilié chez les ringards, et l’icône bobo à la mode, souveraine chez les dominants.
Ces théories sommaires ne sont vraiment pas neuves, et comme toujours, elles produisent le contraire de ce qu’elles annoncent
Édouard Louis est un homme qui a beaucoup menti, ce qui l’a rendu suspicieux envers certains mensonges mondains mais aussi, par impatience existentielle sans doute, incroyablement crédule envers le révélateur simplet marxo-bourdieusien, lequel se contente de tout traduire en lutte binaire, sans considérer la multiplicité des luttes et tout ce qui échappe à la lutte. Par un amusant paradoxe, ce point de vue d’extrême gauche a été l’outil de son ascension sociale et c’est en en usant comme d’un marteau-piqueur qu’il finit par être élevé sur le pavois qu’on réserve aujourd’hui aux victimes, combinant la gloire du parvenu à l’auréole du martyr social.
Édouard Louis est un homme qui a beaucoup menti et qui pense aujourd’hui pouvoir faire tomber tous les masques, croyant naïvement que le revers d’un mensonge résumerait toute la vérité. Aussi, en tant qu’écrivain, attaque-t-il la fiction (le style aussi, il écrit avec une platitude soviétique), prétendant substituer au roman le témoignage direct, sociologique, qui serait « politique » et efficient, au contraire du divertissement petit-bourgeois. Ces théories sommaires ne sont vraiment pas neuves, et comme toujours, elles produisent le contraire de ce qu’elles annoncent. Le réalisme-socialiste s’avéra la plus falsificatrice des fictions, et la Justice vient de contredire tout le récit qu’Édouard Louis avait fait, dans Histoire de la violence, de son agression sexuelle par un amant de passage. Ainsi, loin d’être l’arme émancipatrice qu’elle prétendait se faire, sa littérature aura surtout servi à foutre un innocent en taule.
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De grands doutes se font jour également sur la véracité de son premier best seller, la population du village natal d’Eddy Bellegueule, interrogée récemment par Le Journal d’Abbeville après un documentaire consacré à l’enfant du pays, s’estimant depuis huit ans dénigrée, humiliée et accusée à tort. Édouard Louis est un homme qui a beaucoup menti et qui continuerait donc de mentir, mais de mentir en marxiste afin de faire fructifier son capital.
Culte, secret, pratiquant une littérature miroitante et prestidigitatrice, Jean-Jacques Schuhl est, du point de vue esthétique, à l’opposé d’Édouard Louis. Plutôt que de dénoncer sur un ton monocorde un unique revers des choses, il multiplie les reflets, fait jouer en tout sens la lumière et l’ombre, enchaîne les hallucinations et les détourne. Au bout du compte, un vrai visage se détache pourtant en creux, sur ce fond chatoyant. Le réel n’est pas binaire, il est ambigu. Et c’est en doublant la fiction du monde, en faisant tournoyer les revers de l’ambiguïté, en laissant alterner les masques, qu’à force, peut-être, un peu de vérité sera faite. Voilà ce que les livres de Schuhl démontrent avec splendeur. C’est pourquoi son dernier, Les Apparitions, est sans doute le meilleur remède à prescrire contre l’arnaque artistique, philosophique et politique que constituent ceux de Louis.