Tout le monde veut la paix, excepté Vladimir Poutine qui a déclaré la guerre et qui, quelques raisons qu’il puisse présenter pour se justifier, l’a donc voulue. Tout le monde veut la paix et tous, probablement, nous sommes prêts à en payer le prix car aucun d’entre nous, sinon les quelques-uns qui se font les hérauts des valeurs bellicistes et trouvent belle la guerre, n’aime ni la mort ni les larmes que les conflits armés portent nécessairement avec eux. Il existe cependant plusieurs façons de vouloir la paix et plusieurs manières d’éviter la guerre ; il existe ainsi une paix dans l’honneur qui n’a que peu à voir avec celle de la soumission à laquelle invite l’homme fort du Kremlin, acharné à refuser toutes négociations qui ne satisfassent pas l’ensemble des revendications par lui imposées à tous, tel le tyran qu’il est désormais devenu pour notre plus grand malheur et celui des Russes qui le subissent.
Bref, on collabore, toute honte bue, voilà ce que proposent nos réalistes sous couvert d’une prétendue hauteur de vue
On a donc vu toute une clique de « réalistes » prôner avec plus ou moins de précautions rhétoriques la reddition sans condition aux exigences de Poutineprétextant, parce qu’ils avaient lu Dostoïevski et qu’ils aiment le bortsch, une rationalité russe qu’il faudrait comprendre. Pourquoi pas en effet se vautrer dans l’absurde et prendre aussi à témoin la littérature et la pensée russes pour arguer d’une rationalité russe, quand elles sont toutes les deux irriguées par l’hystérie et la radicalité qui faisaient jadis l’admiration des contempteurs d’une Europe épuisée dont on comprend mieux à présent qu’ils désirent tout de suite céder à un Poutine nous promettant le feu atomique si nous ne lui baisons pas les pieds sans différer ? Amusant surtout de voir ces tenants de l’équilibre rendre les occidentaux seuls responsables du tournant eurasiste du Soviet suprême quand toute l’histoire de la Russie témoigne d’une bipolarité liée à la nature bâtarde de cette nation-continent qui n’a jamais su se faire aimer de ses voisins immédiats et qui se déchire elle-même entre l’Asie et l’Europe dans un profond trouble de l’identité que son histoire brutale et fascinante illustre.
« Nous sommes faibles, nous sommes fragiles, soumettons-nous immédiatement, déposons les armes pour éviter la guerre, soyons sages, et Poutine nous récompensera en nous laissant lui lécher les valenki pour tout le temps que règnera l’ordre du Heartland dont la Russie sera à coup sûr le nouvel axe politico-spirituel – et puis les orthodoxes sont nos frères (quid des orthodoxes ukrainiens ?), blablabla… » On laisse l’Ukraine se faire déchiqueter puis digérer par l’ours, on se désolidarise bruyamment des Américains qui, eux, a priori, ne risquent pas de nous bombarder immédiatement, on ne vexe surtout pas la brute en évitant de la regarder dans les yeux, bref, on collabore, toute honte bue, voilà ce que proposent nos réalistes sous couvert d’une prétendue hauteur de vue et de citations tirées d’un « Que sais-je » consacré à la géostratégie.
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Autrement dit, les mêmes qui nous saoulent avec la force qui ne comprend que la force, qui admirent Poutine lequel d’après eux, en « homme du XIXè », saurait qu’elle seule compte et que tout ce qui ne s’y rapporte pas équivaut à une faiblesse méprisable qui mérite qu’on la traite sans pitié aucune ;tout ce beau monde réclame qu’on se soumette, qu’on évite le moindre rapport de force, et qu’on soit faible. Las, on commence à les connaître puisqu’ils sont pour une bonne part d’entre eux les mêmes que ceux qui voulaient offrir les vieux au Covid comme ils veulent à présent sacrifier l’Ukraine à Poutine afin de demeurer dans leur tranquillité de bons postmodernes. On leur rappellera cependant qu’il existe une autre façon que la reptation de vouloir la paix et de l’obtenir, laquelle ne s’origine pas dans une Eurasie fantasmatique, mais au cœur même de l’histoire occidentale, écrite longtemps avant l’apparition du cyrillique : « Si vis pacem, para bellum. »