Comme les ronds dans l’eau qui vont s’élargissant depuis l’endroit où a atterri le caillou, les événements qui ont entouré les élections américaines provoquent des ondulations qui atteignent toute la planète. À chaque fois que le Bureau ovale change de locataire, un rééquilibrage plus ou moins évident des relations internationales se fait. Mais cette fois-ci, l’ère Trump se clôt dans le chaos, alors que l’Amérique est travaillée par l’angoisse du déclin. En 2017, Xi Xinping était venu donner au forum de Davos des leçons de libéralisme à l’Occident. Le président chinois a choisi cette fois, à la même tribune, de poser en défenseur du multilatéralisme et de dénoncer la tentation d’une « nouvelle guerre froide », face à l’administration Biden. Ironique leçon d’apaisement de la part de la République populaire de Chine qui continue à placer ses pions tous azimuts, depuis la Birmanie, toujours très dépendante de Pékin sur les plans militaire comme économique, où l’armée clôt l’éphémère parenthèse démocratique, jusqu’aux « nouvelles routes de la soie » en Asie centrale, en passant par la corne de l’Afrique, où la Chine a ajouté Djibouti au « collier de perles » de ses bases à l’étranger.
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La France a même pu s’inquiéter des efforts réitérés de Pékin pour influencer le vote sur l’indépendance en Nouvelle- Calédonie, le 4 octobre. Dans le même temps, en Russie, la fin d’une ère se profile aussi, plus lointaine : celle de Vladimir Poutine, au pouvoir depuis 21 ans. La réforme constitutionnelle russe, adoptée par référendum à l’été dernier, lui garantit d’accomplir deux mandats supplémentaires s’il le désire mais la question de son héritage politique se pose déjà, dans un contexte marqué par les tensions avec l’Occident et la pénétration économique chinoise en Asie centrale et en Sibérie. Le retour de Navalny en Russie représente, pour l’opposant comme pour le Kremlin, l’occasion de prendre la mesure du soutien populaire à l’« antipoutinisme », en dehors de « l’opposition systémique » des partis officiels.
Au sein de ce menaçant théâtre d’ombres, l’Union européenne joue une partition sans surprise.Les élites européennes se réjouissent d’avoir retrouvé la laisse d’un maître plus doux mais l’UE fait dans le même temps les yeux de velours à Pékin avec qui elle a signé, fin décembre, un accord afin d’ouvrir le marché chinois aux entreprises européennes, et vice-versa. Opportunistes mais prudents, les dirigeants européens restent prisonniers d’une mentalité profondément marquée par l’aversion au risque. Face à la domination numérique américaine, la riposte de l’UE a été avant tout réglementariste et fiscale : le Règlement général sur la protection des données, la taxe GAFA… Très ironiquement, Elon Musk annonçait le 8 février que Tesla achetait pour 1,5 milliard de dollars de bitcoins, au lendemain de la déclaration de Christine Lagarde réclamant plus de régulation pour encadrer les cryptomonnaies. En attendant que la BCE lance sa propre monnaie virtuelle. La volonté affichée par Bruxelles, fin décembre, de réguler pour des raisons de sécurité l’usage des applications de messagerie chiffrées, pourrait aussi peser lourdement sur les entreprises européennes développant ce type de service, comme Protonmail ou Tutanota.
Le départ des Britanniques rebat les cartes et la rivalité franco-germanique ne cesse de s’affirmer, jusque dans le domaine militaire
Mais si l’UE peine à se concevoir un autre destin que celui de cercueil réglementaire, elle est toujours le théâtre d’une âpre lutte de pouvoir en matière de souveraineté. En ce sens, les négociations autour du budget européen post-Brexit sonnent aussi l’heure des grandes manœuvres. Comme le notait déjà la Fondation Robert Schuman en 2017, « avec le Brexit, l’Allemagne perd un allié objectif, probablement son meilleur allié budgétaire ». Le départ des Britanniques rebat les cartes et la rivalité franco-germanique ne cesse de s’affirmer, jusque dans le domaine militaire, si l’on en juge par la pression qu’exerce l’Allemagne dans le cadre du projet du « Système de combat aérien du futur » (SCAF), pour obtenir des transferts de technologie de pointe de la part de Dassault. Entre immobilisme et rivalités technocratiques, l’UE reste prisonnière d’un espace-temps situé quelque part entre Giscard et Brejnev. Trente ans après la fin de la guerre froide, nous aurons réussi à l’avoir, notre Union soviétique.