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Edoardo Dallari : “en vérité le gouvernement italien est post-idéologique”

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Publié le

29 août 2018

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Etoile montante du monde intellectuel italien, Edoardo Dallari renvoie dos à dos le passé et le présent de la Botte. Ce docteur en philosophie est l’élève de Massimo Cacciari et de Vincenzo Vitiello. Se projetant dans l’avenir, il s’intéresse aux relations unissant  la métaphysique, la théologie et la politique dans la pensée occidentale soumise à la globalisation.

 

Vous pensez que le monde d’hier, celui de Berlusconi et Renzi, est fini mais le monde d’aujourd’hui, celui de Salvini et Di Maio, est trop instable. Que préconisez-vous pour l’avenir de l’Italie ?

En Italie se manifeste le plus haut degré de la crise européenne. Steve Bannon a raison d’affirmer que la configuration politique italienne est unique, réunissant un populisme de droite – la Ligue – et un populisme de gauche – le Mouvement 5 Étoiles . Ce sont des mouvements politiques miroirs, certainement contradictoires sur beaucoup de thèmes, mais qui réussissent à être complémentaires. Comprenons-nous bien: le terme “populisme” est un mot valise qui n’a pas grand sens pris isolément. Comme soutient Massimo Cacciari le mot équivaut au “hic sunt leones” des anciens concernant les territoires inconnus. Nous vivons une phase de transition en Europe et dans le Monde.

Depuis des mois les faiseurs d’opinions italiens s’écharpent sur le gouvernement : “est-il de droite ou est-il de gauche” ? La vérité est qu’il s’agit du premier gouvernement post-idéologique. Di Maio et Salvini sont deux phénomènes de la politique d’aujourd’hui, alors que le PD et Forza Italia sont morts. Le premier était le parti de Renzi ; le second n’existe pas sans Berlusconi. La classe dirigeante italienne est à la dérive, la classe moyenne est sinistrée, les jeunes n’ont pas d’espoir, la corruption est partout, la méritocratie n’existe pas. Pour la reconstruction d’une authentique dialectique démocratique, il faut qu’émerge une nouvelle force politique allant au-delà du clivage droite-gauche. Elle devrait être absolument européiste, mais capable de créer un récit alternatif au souverainisme. Quel sens pourrait avoir la logique régressive de la centralité des États dans l’époque de la globalisation technico-économique ? Quant au récit utopique de la démocratie directe du type web-cratie, celle qui se résume en fait à une domination oligarchique, à l’image de ce que décrivait Orwell, dans La Ferme des Animaux  : tous les animaux sont égaux, mais quelques-uns sont plus égaux que les autres.

Notre gouvernement devra être jugé à partir des faits. Il peut faire des bonnes choses, grâce à sa grande popularité. Il y a un consensus : réforme Fornero,  flat tax, questions de la citoyenneté, rééquilibre des rapports de force avec l’Europe (particulièrement dans la gestion du phénomène migratoire). Le fait que le Mouvement 5 Étoiles soit au pouvoir est une bonne chose, car il devra abandonner son tropisme anti-politique. La Ligue, qui est passé d’une “Lega Nord” à une “Lega National” lepéniste, est une force de gouvernement depuis 20 ans.  Reste à espérer qu’ils ne dévastent pas les finances publiques et que l’affrontement avec l’Europe n’arrive pas à un point de non-retour.

 

Les Italiens sont historiquement hostiles aux Autrichiens, de nos jours il paraît que le nouveau gouvernement est plus enclin à soutenir une Europe centrale autour de Vienne que le moteur franco-allemand ; cela peut-il durer ?

Je crois que l’Italie n’abandonnera jamais l’axe franco-allemand qui domine l’Union européenne, même avec ses défauts. Le rapprochement avec Vienne et le groupe de Visegrad est un coup tactique, mais pas une stratégie au long cours. Ce qui est certain c’est que l’Autriche n’est que l’ombre de la puissance qu’elle était autrefois. L’empire austro-hongrois est fini, et donc ne pose pas un péril pour l’Europe actuelle : il peut même être un point d’appui important pour réussir à parler avec l’Est. On s’est beaucoup trop préoccupé des forces subversives qui voudraient faire chuter l’Union, si bien que l’on n’a pas compris que ces poussées centrifuges en Europe sont représentées par ceux qui se disent européistes. L’Union Européenne vit mal la contradiction entre une technocratie centraliste d’un côté, que prétend d’uniformiser les Etats sous des critères techniques et économiques homogènes qui ignorent les différences entre les pays, et en même temps une politique otage des égoïsmes des Etats nationaux.  Le problème est que l’État national est impotent dans un monde globalisé, et que le concept de souveraineté a juste du sens dans le cadre continental. 

Il faut comprendre que l’Europe des “petites patries” n’est pas celle que voudraient construire les divers mouvements indépendantistes et sécessionnistes, mais précisément celle d’aujourd’hui. Ils se sont trompés en imaginant que l’unité monétaire permettrait d’atteindre presque naturellement l’unité politique. Le fédéralisme européen est maintenant une utopie morte. L’euro n’est pas un dogme, il est possible d’en sortir.  Mais cela doit être un choix collectif, et non une décision unilatérale de l’Allemagne, seul pays en mesure de prendre une telle décision.

 

La russophilie italienne ne débouche sur rien. Rome devrait-elle s’émanciper de la tutelle américaine et chercher une entente avec Moscou ?

Il est absolument impossible que l’Italie puisse s’émanciper de l’influence américaine, pourtant elle pourrait avoir un rôle important de médiation entre les deux superpuissances américaine et russe, à condition que cela se fasse dans un cadre européen. Les USA commencent à perdre leur hégémonie globale. L’Europe a la possibilité de se former en empire capable de se confronter avec les autres néo-empires régionaux qui aujourd’hui combattent pour la domination du globe multipolaire et pluridimensionnel : États-Unis, Russie et Chine. Après la chute de l’URSS l’Amérique n’avait plus besoin d’un front occidental anti Union Soviétique. Si l’Allemagne n’abandonne pas  sa position hégémonique, et persiste à castrer ses alliés, à empêcher leur développement, alors l’Europe ne sera jamais un acteur politique global et continuera à survivre et à subir les politiques étrangères.

Les élections européennes de 2019 s’approchent. Quel est votre avis sur leur importance pour redéfinir le continent ?

Nous aurons des surprises : les mouvements eurosceptiques enregistreront de fortes progressions. Le conservatisme de l’alliance entre PSE et PPE finira par disparaître et de nouvelles perspectives s’ouvriront.Il faut  ouvrir une nouvelle phase constituante qui mettra au centre un grand plan d’investissements pour la formation, pour la culture et pour l’instruction. Le monde contemporain est complexe, et nous préférons nous illusionner :  tout va bien dans le meilleur des mondes. Ca n’est pas le cas. 

 

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