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À l’occasion de la sortie de The Sound of music (Mute), et en complément du dossier qui leur est consacré dans le dernier Incorrect, nous vous proposons, en accès libre, une interview panoramique et corrosive du groupe le plus fascinant des trente dernières années : Laibach. Exclusif !
Votre carrière s’étend sur plus de trente ans et a débuté quand votre pays était encore sous influence soviétique. Le monde est-il plus libre aujourd’hui?
Si vous parlez de la Yougoslavie comme de notre pays, il n’a jamais vraiment été sous influence soviétique. Tito s’est séparé de façon significative de Staline en 1948, et la Yougoslavie a fait son petit bonhomme de chemin en devenant le meneur des pays non-alignés. Le monde d’aujourd’hui est mondialisé de façon formelle, mais semble beaucoup plus « localisé » que jamais, car les pays et les communautés se séparent et se ferment par peur du reste du monde.
La liberté semble donc une idée dépassée, et elle est interprétée différemment dans différents systèmes et différentes sociétés. Mais l’idée dominante de la liberté promue de nos jours est, en fait, la liberté de l’esclavage.
Votre démarche a des allures situationnistes. Vous sentez-vous des affinités avec Guy Debord ?
Nous nous voyons comme les machinistes de l’âme humaine, mais dans la lignée de Marcel Duchamp.
La montée des populismes en Europe de l’Est représente-t-elle un phénomène qui vous inquiète ?
Pas vraiment, la plupart des avènements populistes en Europe de l’Est sont une réaction directe au désenchantement vis-à-vis de la réalité culturelle, politique et économique de l’Europe Occidentale.
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On vous a longtemps diabolisés mais vous jouez maintenant à la Tate Modern (le prestigieux musée d’art contemporain de Londres) et êtes reconnus par l’intelligentsia…
Imaginez le temps qu’a mis l’intelligentsia pour reconnaître Laibach : il doit y avoir quelque chose de profondément inintelligent chez eux. Et il doit y avoir quelque chose qui cloche chez Laibach, si nous sommes tout à coup reconnus. Le problème de l’art, aujourd’hui, n’est pas la censure. Le problème de l’art est l’art lui-même. La quête de la beauté et de la liberté ne devrait pas être une excuse pour créer de l’art pour le plaisir de l’art. Et même si l’art n’est en fait plus pertinent depuis longtemps, l’art est toujours là, il se bat pour des miettes à la table des riches.
Votre précédent album était une mise en musique de certains poèmes d’Ainsi parlait Zarathoustra. Laibach est-il un projet nietzschéen ?
En principe, nous pouvons être tout ce que les gens veulent que nous soyons, mais nous pouvons aussi en partie être proches de Nietzsche. L’influence de Nietzsche sur la philosophie continentale moderne est énorme, et sans ses œuvres, elle serait sûrement allée dans une autre direction. Il a eu de manière évidente une influence très importante sur l’histoire de l’Europe et, avec la « post-vérité » et la « fausse-vérité », l’ère de Nietzsche est arrivée. Son perspectivisme nous offre un moyen de comprendre ce phénomène.
Tout ceci est une bonne raison pour discuter et interpréter ses idées. Mais c’est en fait par hasard que nous nous sommes plongés dans Nietzsche. Nous étions invités par le metteur en scène slovène Matjaž Berger pour créer de la musique sur une pièce adaptée d’Ainsi parlait Zarathoustra, jouée par la troupe du théâtre Anton Podbevšek, à Novo Mesto, en Slovénie. Il tire son nom d’un poète d’avant-garde slovène des années 20, et ses poèmes sont caractérisés par des sujets lyriques et titanesques.
Son seul recueil de poème s’appelle L’Homme avec des bombes, et il représenta aussi une forte influence pour notre projet, outre le livre de Nietzsche. Pour ce qui est de l’album, nous avons recomposé et modifié des fragments de la bande-son théâtrale, en douze pistes.
https://www.youtube.com/watch?v=hS78vyLezkc
Laibach ressemble à une hydre à mille têtes : chacun de vos albums repose sur un concept différent. Aimez-vous embrouiller vos fans ?
Laibach est une entité assez grosse pour la contradiction et les paradoxes, mais notre première intention n’est pas d’embrouiller notre public. Nous pouvons étendre leur horizon et leurs vues, mais le plaisir que nous y prenons n’a rien à voir avec cela.
Vous avez joué dans Sarajevo assiégée, en 1995, et à cette occasion, vous avez distribué des passeports du NSK (l’État virtuel fondé par le collectif artistique auquel Laibach appartient) à des civils pour qu’ils puissent quitter la ville. Que pouvez-vous nous dire de cet épisode ?
C’était pendant l’hiver 1995, juste avant la fin de la guerre, pendant l’un des nombreux cessez-le-feu, quand les habitants de Sarajevo, prisonniers de l’incompétence européenne à arrêter la guerre en Europe centrale, attendaient le résultat de la dernière conférence pour la paix organisée par les États-Unis à Dayton. Des tirs se produisaient occasionnellement, donc la loi martiale était en application.
Nous avons voyagé jusqu’à Sarajevo, qui était assiégé, avec des casques bleus des Nations Unies, dans diverses zones militaires, et nous avons joué deux concerts dans le Théâtre National, ce qui n’était pas facile du tout. Nous avions amené beaucoup d’équipement, et à cause du manque d’électricité, nous avons dû jouer avec des générateurs.
Ces deux concerts ont été, en fait, les plus importants événements culturels à Sarajevo durant la guerre. Nous avons joué le premier concert la veille du traité de paix de Dayton, et les gens étaient encore très tendus, parce qu’ils ne savaient pas comment allaient s’achever les négociations. Le lendemain, nous avons fait un nouveau concert, pendant que les négociations touchaient à leur fin et mettaient finalement un terme à la guerre, et, de façon factuelle, mettaient un terme à l’occupation de Sarajevo, donc l’émotion était à son comble.
Mais vu que les habitants de Sarajevo n’avaient pas encore de passeports du nouvel état Bosniaque et qu’ils ne pouvaient plus utiliser leurs vieux passeports yougoslaves, nous leurs avons donné des passeports diplomatiques du NSK, environ trois cent soixante d’entre eux, et certains ont pu finalement quitter les ruines de cette ville déchirée par la guerre.
Laibach s’inscrit-il dans la lignée du « Gesamtkunstwerk », l’œuvre d’art totale ?
Si « Gesamtkunstwerk » signifie la synthèse universelle et totale de toute forme d’expression, alors c’est probablement une description adéquate de ce que nous faisons.
Depuis que vous avez joué en Corée du Nord, les relations de ce pays avec la communauté internationale semblent s’être réchauffées. On a même pu y voir l’acteur français Gérard Depardieu, qui y a tourné un film. Pensez-vous avoir contribué à ce réchauffement ?
Nous espérons que non, mais ce qu’il faut savoir est que la Corée du Nord a très envie de s’ouvrir au monde. Mais selon ses propres conditions. La question étant : le monde les laissera-t-il faire ?
Retrouvez par ici le site de Laibach
Laibach est-il un groupe de musique ou une entreprise conceptuelle ?
Quand nous partons en tournée, nous sommes complètement un groupe. Quand nous créons un album, une exposition ou des événements spéciaux, comme le concert à Pyongyang, nous pensons de façon conceptuelle.
Pourquoi avoir choisi de ressortir maintenant votre tout premier album ? Pouvons-nous nous attendre à de nouvelles rééditions ?
C’est en partie à cause de la demande du public – l’album était introuvable depuis longtemps – et en partie parce que nous voulions voir comment le Laibach des années 1980 sonnait aujourd’hui. Nous avons en effet plus de raretés et de rééditions prévues durant les cinq prochaines années, et nous espérons en sortir au moins une partie durant les dix prochaines années.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]