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Inquiétante progression de la confusion conceptuelle

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Publié le

17 janvier 2018

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BICHOT

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Jamais les hommes n’ont disposé d’autant de moyens pour faire fonctionner leur intelligence, mais ce que diverses techniques leur apportent comme puissance de communication, d’accès à l’information, et d’analyse, est gaspillé dans une très large mesure. Cela pour plusieurs raisons, dont celle qui fait l’objet de la présente réflexion : un énorme déficit en matière de conceptualisation. Nous en prenons ci-dessous trois exemples ; il en existe bien d’autres.

 

Les cotisations sociales et la rémunération des salariés

 

La conception dominante est que les cotisations patronales sont payées par l’entreprise et les cotisations salariales par le salarié. Il en résulte notamment la politique d’allègement des « charges » patronales destinée à « réduire le coût du travail ».

Cette conception est ce que l’on appelle familièrement « de la bouillie pour les chats », une idée reçue qui prend au sérieux les dénominations, comme si le simple fait d’appeler une cotisation « patronale » suffisait pour qu’elle ne soit pas payée par le salarié. En réalité, l’entreprise débourse la totalité des cotisations, tant salariales que patronales, et le salarié est bien ponctionné de la totalité des cotisations, tant patronales que salariales. L’employeur rémunère son personnel en déboursant le salaire super-brut, somme du salaire brut et des cotisations patronales, et le salarié paie à la sécurité sociale la totalité des cotisations, sous forme d’une retenue à la source, qu’elles soient appelées patronales ou salariales.

Le concept même d’une dualité de cotisations, les unes patronales et les autres salariales, est donc une erreur de logique, qui obscurcit hélas grandement le contrat de travail, le concept de rémunération, et le financement de la sécurité sociale. Le contrat de travail porte sur le salaire brut, qui n’est ni le coût du travail pour l’entreprise, ni la rémunération du travail pour le salarié : la relation contractuelle est viciée à la base par l’erreur conceptuelle. La notion de rémunération est pareillement mise à mal, le salarié s’estimant rémunéré beaucoup moins qu’il ne l’est en réalité, et beaucoup moins ponctionné par la sécurité sociale qu’il ne l’est de fait. Tout le système des prix du travail et des assurances sociales est noyé dans un magma informe faute d’utiliser des concepts pertinents de cotisation sociale et de rémunération du travail.  

 

L’argent et les paiements

 

Dans Les Echos du 15 janvier, un certain Olivier Mathiot, présenté comme président de PriceMinister Rakuten et vice-président de France Digitale, oppose les paiements « en liquide » (pièces et billets) aux paiements « numériques » dans un article intitulé « Les cryptomonnaies signent la fin de l’argent liquide », comme si pièces et billets n’étaient pas des moyens de paiement numériques. L’adjectif « numérique » et le substantif qui s’orthographie de la même manière sont devenus abusivement synonymes d’informatique. Un billet de banque, une pièce métallique, sont évidemment des objets numériques : un billet sur lequel est inscrit « 50 € » vaut 5 billets estampillés 10 €, et 50 pièces d’un euro, et 50 euros sur un compte monétaire, que ce compte soit tenu par une banque ou par une de ces institutions non bancaires qui remplissent sensiblement le même office en ce qui concerne les paiements. Remarquons que la Poste a longtemps été un organisme de ce type, avec le service des chèques postaux, jusqu’à ce que ce service donne naissance à la Banque Postale.

Depuis des millénaires, la monnaie est numérique ; l’humanité n’a pas attendu l’invention du traitement informatique des données pour s’organiser monétairement, c’est-à-dire numériquement. La technique actuelle permet de faire porter les chiffres par des puces de silicium plutôt que par des registres de papier, des billets et des pièces métalliques, et de mouvementer les ensembles de chiffres par des signaux électromagnétiques plutôt que par des écritures ou des transferts de la main à la main, mais il ne s’agit que d’une évolution technologique, pas d’un changement de paradigme ni de concept.

Ce que l’on appelle les cryptomonnaies sont également des réalités numériques, mais alors que le concept est le même pour le billet de banque et pour le compte en banque conservé et mouvementé grâce à un réseau d’ordinateurs, il est différent pour le bitcoin et ses homologues. La « vraie » monnaie est une dette, comptabilisée dans le cadre de ce que l’on appelle la comptabilité en partie double, et régulée par un délicat consensus relatif à la notion de solvabilité. En effet, la création monétaire est le crédit d’un compte à vue par le débit d’un compte de prêt, et le banquier a pour fonction stratégique et pour devoir de ne réaliser une telle opération que s’il a de bonnes raisons de penser que l’emprunteur dépensera productivement ce dont il est à la fois débiteur et (provisoirement) créancier et ne fera pas faillite. Un réseau d’acteurs dont certains ont pour fonction d’apprécier la situation financière des autres, leur capacité à faire face à leurs obligations, effectue l’essentiel du travail.

 

Lire aussi : Impôt sur le revenu, l’effet ignoré de la retenue à la source

 

Les critères de solvabilité et le devoir qu’ont les créanciers, et particulièrement les banquiers, de déclencher le processus de mise en faillite lorsque ces critères ne sont plus remplis par un client, est le noyau dur de la fonction monétaire. En schématisant, le système monétaire et financier a pour fonction à la fois de faciliter les échanges et de faire en sorte que ceux-ci soient équilibrés : que certains ne bénéficient pas de biens et de services sans fournir en échange, dans la durée, sensiblement l’équivalent.

Les cryptomonnaies ne remplissent nullement cette fonction. Certes, elles peuvent être utilisées pour des paiements, comme l’ont été les cigarettes dans les camps de prisonnier, ou le bétail par le passé dans certaines régions du globe. Cigarettes et bovins remplissaient alors une fonction numérique, mais – sauf si se met en place un système de crédit dont la cigarette ou le bœuf est l’unité monétaire, ce qui ramène à la dette et au contrôle mutuel de solvabilité – les fonctions usuelles d’un système monétaire ne sont pas toutes présentes.

Bref, la réflexion est faussée par l’absence de référence à un concept de monnaie qui soit clair et précis. Ce concept doit rendre compte correctement d’une réalité qui s’est manifestée sous des formes très diverses depuis des milliers d’années. Une sorte de décérébration se produit quand on invoque la nouvelle divinité auréolée de mystère, le « numérique » ; cela explique l’utilisation anormale qui est faite par beaucoup de commentateurs des termes « monnaie » et « paiement numérique » (une tautologie, tout paiement autre qu’en nature étant numérique) à propos des bitcoins et autres ethereums ou ripples.

 

Les assurances sociales et la notion de contributivité

 

Quand une prestation est-elle contributive ? Au sens économique, quand elle est perçue en raison d’une contribution, c’est-à-dire d’un acte (par exemple le paiement d’une cotisation) qui la rend possible. Mais le législateur, qui participe hélas à la confusion mentale dans laquelle baigne notre société, a cru pouvoir décider arbitrairement que tel versement constitue une contribution ouvrant droit à prestation, même si elle ne contribue en rien au paiement ultérieur de la prestation.

Les retraites par répartition fournissent un superbe exemple de la déformation légale du concept de contributivité : les pensions attribuées en raison d’un versement antérieur de cotisations vieillesse sont abusivement considérées comme contributives par la loi et par les grands corps (Conseil d’Etat, Cour des comptes), alors que les dites cotisations, ayant été dépensées sitôt encaissées pour verser des pensions à des personnes âgées, ne servent à rien pour ce qui est d’en servir à ceux qui cotisent aujourd’hui. Nous sommes en présence d’un mensonge d’Etat qui, à la différence de beaucoup d’autres, destinés à dissimuler une réalité gênante, correspond à une erreur conceptuelle commise de bonne foi. Le législateur et ses interprètes mentent sans le savoir, parce qu’ils utilisent un concept juridique absurde qui est gravé non seulement dans le code de la sécurité sociale, mais aussi dans les esprits.

 

Lire aussi : Chenilles et papillons sur la planète finance

 

La contribution qui permet le fonctionnement des retraites par répartition a été clairement mise en évidence par Alfred Sauvy, qui disait en substance : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ». Les cotisations vieillesse constituent une sorte de remboursement de ce que chaque actif a antérieurement reçu de la génération qui l’a nourri, soigné, formé, pas une contribution à la préparation des pensions de ceux qui les versent.

On peut aussi préférer parler de dividende plutôt que de remboursement, parce que le financement de l’investissement dans le capital humain s’apparente davantage à un apport en fonds propres qu’à un prêt : telle personne pour laquelle peu de dépenses ont été réalisées dans sa jeunesse peut se révéler très productive et verser en conséquence d’énormes cotisations vieillesse, tandis qu’il arrive que telle autre, après avoir beaucoup reçu durant son enfance et sa jeunesse, soit un médiocre travailleur et ne verse que peu d’argent pour entretenir la génération qui l’a ainsi gâté. L’essentiel est de comprendre que le concept de retraites par répartition actuellement en usage est une aberration parce que son organisation juridique a singé celle des retraites par capitalisation alors que son fonctionnement réel est bien différent.

 

Le trop est l’ennemi du bien

 

Nous avons trop d’informations, trop de données chiffrées, trop de lois et de règlements, et « pas assez de plomb dans la cervelle », comme on disait jadis d’esprits superficiels qui parlent beaucoup pour ne rien dire, ou pas grand-chose. Nous sommes submergés par une information de mauvaise qualité et par des semblants de raisonnements basés sur des concepts foireux ou inadéquats. Le politiquement correct nous barre souvent l’accès à la vérité. Notre monde ressemble de plus en plus à la quatrième planète du Petit Prince, celle du businessman qui compte assidument des étoiles qu’il ne connaît pas et qui ne lui serviront jamais à rien, si ce n’est à l’occuper. Nous regorgeons de ces businessmen à la tête si pleine que jamais la pensée d’une fleur ne parviendra à y prendre racine. Montaigne préférait les têtes bien faites aux têtes bien pleines, mais c’est la cuistrerie qui a eu le dessus.

 

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