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Isfar Sarabski : Azerbaïdjazz

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Publié le

22 avril 2021

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Rares sont les pays qui peuvent s’enorgueillir de bientôt cent ans de tradition jazz. C’est le cas de l’Azerbaïdjan, définitivement terre de pianistes prodiges depuis les premiers enregistrements du genre. La jeune génération n’est pas en reste, comme le prouve Isfar Sarabski.

Isfar Sarabski n’a que dix-neuf ans en 2008 lorsqu’il met en émoi le jury du concours de piano du Montreux Jazz Festival et remporte le Prix Piano Solo avec son interprétation phénoménale des compositions de Bill Evans. De l’audace, de la virtuosité et une ferveur inspirée, assemblées de façon insolite et novatrice, du jamais vu à l’époque. Ce studieux pianiste membre de plusieurs formations signe un premier album en son nom : Planet. Son sublime Déjà Vu, est d’ores et déjà l’un des plus jolis thèmes de jazz dans l’absolu, et de son nouvel opus plus précisément. Dialogue avec celui qui crée systématiquement la surprise.

Comment vous êtes-vous destiné à la musique ?

J’ai besoin d’enregistrer et de jouer pour donner des émotions aux gens. Beaucoup de choses sont fermées et de plus en plus, d’ailleurs. La musique reste donc un langage unique. Le lieu d’expression de l’âme. Elle peut être comprise par tous. Il m’est plus facile de m’exprimer à travers la musique qu’avec les mots. Je n’ai pas de censure en musique, elle me donne une humeur et des sentiments très clairs. Je ne connais pas les gens que je croise aux concerts, mais je sens l’énergie de la foule, son silence ou sa tension. Cela donne du sens. C’est pour cela que je fais ce métier.

Entre votre illustre arrière-grand-père Hüseynqulu Sarabski, ténor d’opéra, dramaturge, pionnier musical, et les générations d’incroyables pianistes « défricheurs », où se situent la part d’héritage et la part de création dans votre travail ?

Petite anecdote au passage, c’est par une source journalistique européenne que j’ai découvert que mon aïeul ne se consacrait pas qu’à l’opéra, et faisait déjà des expériences jazz « alternatives » en se produisant à Moscou dès 1926 ! Il était le soliste vocal du visionnaire Eastern Jazz Band, premier groupe de jazz du pays. C’est une base familiale solide qui m’aide à construire ma musique. La part d’héritage est énorme, même si j’essaie d’emmener tout ça ailleurs. J’utilise des musiques anciennes de notre folklore et je les arrange avec des éléments nouveaux, jusqu’à l’électro récemment. J’aime créer des ponts entre le jazz et la musique classique, entre l’orient et l’occident, entre le folk et l’électro. De mes onze années de classique – à l’Académie de Bakou et au Berklee College de Boston – j’ai retiré différentes méthodes pour élaborer des mélodies avec des harmonies classiques, jazz, ou mugham. Ce sont des clés, des portes pour jouer plus loin. C’est dans mon sang aussi ! Il est crucial d’explorer des pistes inédites afin de créer de nouveaux horizons. La stagnation n’est pas l’idée que je me fais de l’art.

Le jazz et la musique savante traditionnelle azérie « mugham » – elle aussi fondée sur l’improvisation – se sont reconnus instantanément de solides affinités. Est-ce cette conjonction qui fait de Bakou une des villes les plus réceptives au jazz ?

Oui, complètement ! Le mugham est une suite de mouvements liés à un mode particulier. Leur seul point commun, mais non des moindres, est effectivement cette liberté d’improviser. Pour le reste, les gammes, mesures et structure harmonique n’ont rien à voir avec la musique occidentale. L’avènement de « l’ethno[1]jazz azéri » puisant largement dans la tradition mugham est intimement lié aux personnalités ingénieuses des pianistes et compositeurs classiques Vaguif Mustafazadeh et Rafq Babayev. Ils expérimentaient une synthèse entre les diverses rythmiques jazz et les particularités mélodiques et rythmiques du folklore mugham. Vaguif a ouvert une voie. C’était terriblement avant-gardiste et d’une élégance folle ! Le trompettiste Dizzy Gillespie dira qu’il a créé « la musique du futur ». C’est une remarque sensée, car c’est aujourd’hui encore une direction extrêmement vivante ! Et depuis 2005, le mugham est classé chef-d’œuvre du Patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’UNESCO.

Confiez-nous un souvenir fort de votre parcours.

J’ai un souvenir très ancien et marquant. Nous sommes une famille de musiciens et ma mère est professeur de musique. Je jouais avec les vinyles que j’entendais, c’était mon « premier instrument » et mon jeu préféré dès 2 ou 3 ans ! Aujourd’hui encore je suis fasciné par les grands vinyles noirs… Je me souviens précisément de ce que j’ai ressenti la première fois que j’ai entendu les disques de Dizzy Gillespie ou les enregistrements des œuvres de Bach et de Chopin. À la première écoute, j’ai senti qu’il fallait que j’aille plus loin. Plus tard, je n’ai pas choisi exclusivement le jazz. Et l’on ne peut pas non plus tout lui attribuer. Je dirais que j’interprète tout type de musique. L’immense collection de vinyles n’est probablement pas étrangère à ma culture et mon ouverture d’esprit. Je n’aime pas les limites non plus, alors : j’ai une ligne directrice, et des combinaisons diverses !

Quels sont les thèmes de cet album ?

C’est tout simplement mon opinion à propos de cette planète, de ce monde et de mes expériences. L’album m’a pris presque neuf années de travail. Il s’est fait avec d’anciennes compositions côtoyant de nouvelles. Certains thèmes comme Prélude sont classiques, d’autres sont plus joyeux voire humoristiques. Swan Lake est librement inspiré de Tchaïkovski. Comme j’aime la rythmique qui, dans notre culture, est très forte et très présente, je voulais utiliser beaucoup plus de 7/8, ce qui était un pari fou mais qui se combine si bien finalement. Et puis ça me plaisait l’idée de faire danser les cygnes sur du 7/8 plutôt que leur 4/4 habituel !

« Déjà vu » est un thème splendide qui exprime gravité et légèreté simultanément !

J’ai tenté d’ofrir des mélodies dont on se souvienne mais dont on ne comprenne pas l’origine. Dans ce morceau, les mélodies se chevauchent et évoquent le phénomène de déjà-vu. Les musiciens qui m’accompagnent me donnent l’énergie pour construire mes solos et favorisent cette sublime connexion qui est indispensable dans un enregistrement ! Alan Hampton (basse et contrebasse) et Mark Guiliana (batterie) sont dévoués à leur musique, au son, et au rapport à l’instrument. J’admire leur pulsation et leur fougue[...]

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