L’historien des civilisations Cristof Steding estimait que pour « qu’une nation ou une race atteigne le plan supérieur auquel correspond l’idée d’État ou d’Empire, il faut qu’elle soit frappée et transformée par la foudre d’Apollon, par le feu des hauteurs ». Et ce qui est vrai pour les peuples l’est également pour les prophètes ou les combattants. Jean-Paul Bourre est de cette trempe, et la foudre d’Apollon a revêtu pour lui le nom d’un terrible diamant noir des profondeurs: le Comte de Lautréamont.
Jean-Paul Bourre est un romantique intégral, d’une fidélité absolue envers l’enfance. Sous un large chapeau, il a le visage ferme et grave d’un petit garçon illuminé par la joie tragique des solitaires. À 71 ans, il a écrit pas moins de 65 ouvrages: des plaquettes de poésie enflammée, des récits de guerre au Liban ou en Croatie, des romans barbares et psychédéliques, des essais sur l’Europe mystérieuse des vampires et des loups-garous ou sur l’ivresse des chasseurs de l’impossible, des biographies enchanteresses de Nerval, Villiers, Sade.
Mais aussi des méditations sanguines sur Marie, le Tao ou les Indiens d’Amérique. Quel que soit le sujet traité, il apparaît toujours comme le dernier meneur de loups de la Gaule surnaturelle et enchantée. Chez lui, aucun esprit d’analyse, rien de linéaire, ni de systématique. L’auteur travaille par synthèses disjonctives et offrandes rythmiques. Chacun de ses livres est un viatique sans retour vers la connaissance par les gouffres.
Il a fallu attendre la publication de son autobiographie Guerrier du rêve en 2003 pour découvrir ses années d’enfance en Auvergne, cette « île de granit solidement fortifiée ». On le voit dans sa chambre s’ouvrir à Baudelaire, Alain-Fournier, ou au « terrorisme de Rimbaud ».
Et puis, à l’âge de 18 ans, voici l’instant décisif du passage du feu. La foudre disruptive d’Apollon, une nuit d’épouvante de mars 1964. Le père de Jean-Paul conduit la Panhard Tigre comme un fou, prend les virages de la Ribeyre à toute vitesse et les dents serrées. Il appuie à fond sur l’accélérateur, dirigeant ses talons en avant et non en arrière.
Jean-Paul Bourre est un romantique intégral, d’une fidélité absolue envers l’enfance. Sous un large chapeau, il a le visage ferme et grave d’un petit garçon illuminé par la joie tragique des solitaires.
Mais ne chevauche pas la Tigre qui veut. Un pneu éclate et la voiture tombe avec fracas dans les flots noirs de l’Allier. Une sœur meurt sur le coup, ainsi que sa mère – assise cette nuitlà à la place habituelle de Jean-Paul. Le fils détourne respectueusement ses yeux de la contemplation auguste du fantôme maternel. Sur la plage arrière du véhicule trônent Les Chants de Maldoror, édition de poche à couverture noire. Des bouts épars de pare-brise s’incrustent à jamais en poussière cristalline dans la reliure froissée…
Jadis, saint Austremoine de Clermont avait combattu un dragon dans les méandres de cette même rivière tumultueuse. Telle est la ligne de haute tension qui traverse son œuvre : la présence sourde, antique et obscure du Dragon. Il faut lire L’Élu du Serpent Rouge, ce fulgurant polar métaphysique préfacé par Jean Parvulesco, pour découvrir le Dragon de la rive droite de la Bièvre, maîtrisé par Guillaume d’Orange mais qui ne demande qu’à franchir à nouveau le seuil du visible dans une chapelle profonde de l’église Saint-Médard.
Jean-Paul Bourre est un véritable païen, un paysan celte des hauteurs. Il mange de la terre, boit l’eau des rivières et ôte son chapeau devant une statue de la Vierge Marie. Il ne cesse de hanter l’envers de notre pays, les replis humides et sauvages de la Gaule cachée derrière la France. C’est ce qu’il dit à Tony Baillargeat dans Le réveil de Kernunos: « Que fait l’homme libre face à un despote? Il lui promet la plus haute branche d’un chêne. C’est cet état d’esprit que nous avons perdu. Malgré tout le sang qu’ils ont sur les mains, on les voit venir parader à la télé- vision, impunis, comme dans le plus mauvais cauchemar. Il y a encore de solides branches dans nos forêts gauloises. »