C’est peu dire que le Maroc n’était pas attendu à ce stade de la compétition. Comment expliquez-vous ce succès ? L’académie de formation Mohammed VI est souvent citée en exemple. Azzedine Ounahi (SCO Angers) et deux autres titulaires lors de la qualification contre l’Espagne en étaient issus. Qu’en pensez-vous ?
Le Maroc est sur la pente ascendante depuis quelques années, et ceci pour deux raisons : tout d’abord, l’équipe repose sur une génération incroyable, incarnée par Ouhani, Boufal, Saïss et d’autres. Chaque pays connaît son âge d’or, je pense que le Maroc entre dans le sien, qui devrait durer quelques années. La seconde raison se situe à l’échelle nationale dans le travail entrepris pour structurer la formation, identifier les talents, former les éducateurs, bâtir des stades et des centres d’entraînement notamment avec l’académie Mohammed VI. Le Maroc a calqué son modèle sur ce qui se fait de mieux en Europe, et en récolte les fruits aujourd’hui.
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Interrogé sur la progression du football marocain, Arsène Wenger soulignait que le Royaume avait « fait preuve d’une forte détermination à poursuivre sa marche en avant, en mettant des ressources à destination des équipes de jeunes ». Y-a-t-il eu un changement de méthode en vue de créer une « fabrique africaine des champions » ?
Le plus gros marqueur du changement de mentalité et d’approche se situe dans la relation aux « binationaux », ces joueurs éligibles pour jouer en équipe du Maroc mais nés et vivant en Europe. Pendant plusieurs décennies, le Maroc ne récupérait ces joueurs que « par défaut », au moment où à l’âge de 22 ans, ces derniers réalisaient qu’ils ne pourraient évoluer pour l’équipe de France, de Belgique ou des Pays-Bas. Désormais, la fédération fait un travail colossal d’identification des meilleurs potentiels marocains dès l’âge de 12 ans, et les intègre à sa politique sportive, les convoque à des stages, peaufine leur formation, de manière à les faire évoluer rapidement dans les sélections marocaines.
La géopolitique du football est-elle en train d’évoluer ? Si cinq équipes sur les huit qualifiées en quarts de finale étaient européennes, il semblerait que le rapport de force se soit tout de même équilibré. Est-ce une vue de l’esprit ou une réalité ?
Oui, nous assistons aujourd’hui à un formidable nivellement par le haut. Je considère que cette édition est la plus belle Coupe du monde disputée jusqu’ici, avec des matchs de grande qualité et intensité. Le football est universel, chaque État, chaque continent a compris les bénéfices qu’il pouvait en tirer, notamment auprès de sa jeunesse, non seulement pour des raisons sportives mais aussi et surtout parce que le football est à certains égards un ciment de l’unité nationale, le seul domaine dans lequel il était encore permis de mettre en avant des vertus patriotiques, et disons-le clairement, de revendiquer une forme de préférence nationale.
Lorsque vous annoncez que vous êtes français, au cours d’un dîner à l’étranger, vos interlocuteurs ne vous parlent plus de Napoléon et de de Gaulle, mais de Zidane et Mbappé
Le football n’a jamais généré autant d’argent et de passion. Est-ce une étape obligatoire sur la scène internationale en matière d’influence et de soft power ? Au fond, quels sont les enjeux de ce jeu ?
Où que vous-vous posiez dans le monde, vous attendrez votre valise à l’aéroport sous des panneaux publicitaires mettant en scène Lionel Messi, Cristiano Ronaldo ou Neymar, pour le compte d’une multinationale ou de l’opérateur téléphonique local. Lorsque vous annoncez que vous êtes français, au cours d’un dîner à l’étranger, vos interlocuteurs ne vous parlent plus de Napoléon et de de Gaulle, mais de Zidane et Mbappé. Le football – je ne dis pas qu’il faille s’en réjouir – est un universalisme, un sujet de conversation planétaire, qui dépasse la gastronomie, les modes musicales ou les références cinématographiques.
Ce mondial est-il celui des stars, d’une forme d’individualisation d’un sport collectif ? Quid d’Olivier Giroud : pourquoi ce joueur incarne-t-il à ce point l’équipe de France ? A-t-il quelque chose du « working class hero » ?
Un véritable fossé s’était creusé entre des millions de Français et leur équipe nationale. Les causes sont multiples, de l’instrumentalisation qui avait été faite par les médias et la classe politique en 1998 pour nous rabâcher le slogan de la France plus forte quand elle est « black blanc beur », à la génération de racailles de Knysna en 2010, en passant par les homélies du Père Lilian Thuram, les déboires judiciaires de Benzema et les maraboutages de la famille Pogba. La France d’en bas, appelée par certains « France des ronds-points » ou « France Johnny Hallyday » s’était complètement détournée du foot. Je pense qu’Olivier Giroud – sans qu’il l’ait particulièrement cherché et demandé – représente l’antithèse, l’antidote, pour des Français qui se sentent à nouveau incarnés à travers lui, et qui retrouvent du sens à regarder et encourager l’équipe de France.