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Kinds of kindness : Lanthimos déçoit encore

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Publié le

1 juillet 2024

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Avec trois histoires en une, le dernier film de Yorgos Lanthimos, Kinds of kindness fait le tour des aspirations perverses d’une humanité à la dérive. Répétitif et usant.
© Kinds of Kindness
© Kinds of Kindness

Le bruit courait qu’après le pachydermique Pauvres créatures, Lion d’or 2023 à Venise, Yorgos Lanthimos serait revenu à l’essence de son cinéma avec Kinds of kindness, primé pour l’interprétation de Jesse Plemons cette année à Cannes. C’est du moins ce que laissait entendre dans un entretien Willem Dafoe, acteur dans les deux films, déjà quatre rôles au compteur chez Lanthimos, puisque Kinds of kindness est un triptyque de moyens-métrages où les mêmes acteurs se retrouvent d’une histoire à l’autre dans des personnages distincts. Un seul visiblement pourvu d’une même identité résumée par ses initiales, R.M.F., passe de l’un à l’autre et de la mort à la vie, donnant une partie de son titre à chacun des trois chapitres. On aimerait dire qu’on a retrouvé le cinéaste grec à son meilleur (Alps, The Lobster), mais il est fort à craindre que ce dernier film n’entérine sa faillite définitive.

Thèse – antithèse – prothèse

Comme la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a, chacun des sketchs ne peut qu’afficher la collection attendue d’obsessions lanthimosiennes lourdement figurées : manipulation, paranoïa, automutilation, suicide. Un cadre dévoué s’en remet à son patron philanthrope qui planifie chaque détail de sa vie. Une consigne inacceptable le fait dévier de sa route. Tout tourne mal. Un policier ne reconnaît pas sa femme océanographe secourue après un naufrage. Il imagine qu’elle a été échangée. Tout tourne mal. Une adepte de secte est mise à l’index par le couple de gourous dont elle suit les préceptes. Elle tente à tout prix de les reconquérir. Tout tourne mal. Le spectateur prend place dans son cinéma favori. Il s’attend à du surprenant sinon du neuf. Tout tourne mal.

La misanthropie n’est soutenue par aucune forme.

Car Kinds of kindess, en fait de perverse bonté, remonte à l’association secrète de Alps qui venait en aide aux endeuillés en leur fournissant un acteur censé endosser le rôle des chers disparus. Du bien putatif jaillissaient chaos et souffrance. Un montage intrigant, légèrement déstructuré, retardait la compréhension et soutenait l’intérêt. Ici le format moyen – 50 minutes par volet – oblige Lanthimos et son scénariste historique, Efthymis Filippou, à sacrifier les personnages secondaires et à suivre un fil facilement lisible malgré quelques embardées, au propre (les dérapages incontrôlés d’Emma Stone dans le dernier volet) ou au figuré (le final fantasmé du second et sa société canine). La prévisibilité transgressive étouffe vite ces théorèmes sur l’aliénation où les personnages traitent leur corps ou celui des autres comme autant de monnaies d’échange morcelables. En faisant un effort sur nous-mêmes, on peut supputer que le quidam découvrant le cinéma de Lanthimos soit saisi par la première histoire – dont le plan conclusif façon Sainte-Famille est le seul marquant et non répulsif de tout le film. Mais au troisième, difficile de ne pas voir le système général : thèse-antithèse-prothèse.

Dispersion de corps et mépris du spectateur

On pense plus d’une fois au Roald Dahl de Bizarre, bizarre, récemment adapté par Wes Anderson dans une collection de courts diffusés par Netflix. Le meilleur d’entre eux, Le Cygne, presque un chef-d’œuvre, montrait comment la violence sadique menait à une épiphanie ambigüe, signifiant peut-être la libération de l’enfant torturé. Rien de tel chez Lanthimos, où chacun retombe plus bas dans son ornière. La misanthropie n’est soutenue par aucune forme plus ou moins subjuguante (Kubrick, Haneke) mais par la simple répétition. Et la figure du démiurge mauvais (Dafoe dans les premiers et troisièmes sketchs) de se confondre avec celle du cinéaste friand d’objectifs grand angle et de déformations.

La plus-value supposée de grands acteurs hollywoodiens ne résiste pas à l’usage.

Ajoutons que la Grèce sans qualité d’Alps a été troquée pour une ville américaine anonymisée, comme si les comportements déviants présentés par Lanthimos gagneraient au contraste (c’est hélas l’inverse qui se produit). La plus-value supposée de grands acteurs hollywoodiens ne résiste pas à l’usage. Aucun n’atteint la folie déstabilisante d’Olivia Colman dans La Favorite.  Emma Stone est toujours aussi scolaire et Willem Dafoe s’ennuie avec distinction. Quant à Jesse Plemons, aussi anesthésié que quelconque, on suppose que le jury de Cannes l’a confondu, dans un accès d’enthousiasme, avec le bien plus passionnant Matt Damon. Il ne reste de ces « genres de bonté » que le souvenir vite chassé de morceaux de corps épars et d’une morale amère comme l’huile de ricin : « viles créatures, mon cinéma vous tend le miroir de votre bassesse et de votre nullité. ». Si seulement le mépris du spectateur pouvait agir comme la tête de Méduse…


Kinds of kindness (2h44), de Yorgos Lanthimos, avec Jesse Plemons, Emma Stone, Willem Dafoe, en salles le 26 juin 2024

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