Une étude publiée en mars 2023 par Goldman Sachs annonce que l’intelligence artificielle (IA) provoquera la disparition à moyen terme de 300 millions d’emplois dans le monde. Cela pose une question fondamentale qui n’a pas été traitée lors du débat sur la réforme des retraites : comment compenser les cotisations sociales dédiées au financement du système de retraite par répartition liées aux millions d’emplois qui auront disparus à cause de l’IA ?
Si beaucoup perçoivent l’IA comme une nouvelle manifestation de la destruction créatrice théorisée par Joseph Schumpeter à la base selon lui du capitalisme entrepreneurial et du processus d’innovation, la question est de savoir si avec l’IA, nous conserverons le même niveau d’emplois qu’aujourd’hui.
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Il est actuellement impossible de répondre précisément à cette question mais il faut envisager que, malgré l’émergence de nouveaux métiers liés à l’IA, les gains de productivité seront tels que les nouveaux emplois crées ne remplaceront peut être pas complètement tous les emplois détruits. Dans un livre de 1973, Peter Drucker prédisait que l’évolution technologique remplacerait le travail manuel par le travail intellectuel, également appelé travail du savoir. Lorsqu’on interroge Chat GPT sur les métiers menacés par l’arrivée de l’intelligence artificielle, il nous répond sans fioriture que presque tous les secteurs seront touchés. Il est ainsi très probable que dans quelques années, tous les travaux répétitifs ou manuels soient réalisés par des robots. Mais il est aussi presque certain que l’intelligence artificielle (IA) menacera également les travailleurs du savoir, en l’occurrence les métiers très qualifiés. Nous aurons par exemple besoin de moins d’avocats, de juges, de journalistes, de notaires ou encore de médecins. Tous ces emplois disparus seront autant de cotisations retraites à compenser.
Des bouleversements majeurs sur le monde du travail sont donc à prévoir et cela interroge sur la pérennité d’un régime de retraite pensé à la fin de la Seconde Guerre mondiale qui risque de devenir très vite anachronique. Pourtant, cette transformation profonde ne semble anticipée par aucun parti de gouvernement ou syndicat opposé à la réforme actuelle. C’est étonnant car la véritable injustice qui guette les cotisants au régime général ne sera pas de travailler deux années supplémentaires, mais plutôt de ne plus avoir de retraite du tout faute de travailleurs pour payer les pensions des actifs d’aujourd’hui. De fait, si la démographie est relativement prévisible, qui est capable de garantir aujourd’hui que les évolutions technologiques à venir n’entraineront pas une mutation du marché du travail telle que nous serons alors, quel que soit l’état de notre démographie, à moins d’un actif pour un retraité, ce qui entrainerait un effondrement du système ?
Il conviendra aussi de réfléchir aux solutions financières et sociales pour ceux qui ne trouveront pas de place sur un futur marché du travail largement robotisé
Il donc est crucial de créer un système qui prendra en compte un futur marché du travail totalement remanié, où le salariat ne sera plus la norme. Cela signifie non pas d’ajuster simplement le système de retraite par répartition à travers une mesure d’âge, mais plutôt de créer un système innovant prenant d’ores et déjà en compte ces évolutions technologiques inéluctables. Il faut ainsi envisager un système par répartition garantissant une pension basée à la fois sur des cotisations et probablement une contribution sociale à inventer basée sur la valeur créée demain par le travail de l’IA et des robots comme le préconise depuis longtemps Bill Gates.
En parallèle, il sera nécessaire de considérer au plus vite les conséquences de l’automatisation sur le monde du travail. Cela impliquera de former les travailleurs aux métiers liés à ces nouvelles technologies pour qu’ils soient en mesure de s’adapter aux changements à venir et donc garantir indirectement une partie des cotisations retraites de demain. Il conviendra aussi de réfléchir aux solutions financières et sociales pour ceux qui ne trouveront pas de place sur un futur marché du travail largement robotisé. Pour répondre à cet enjeu, de nombreux décideurs dont Elon Musk préconisent la mise en place d’un revenu universel pour financer le « chômage technologique » théorisé en son temps par John Maynard Keynes. Un débat sur ce sujet sera inévitable en France et partout dans le monde.
Ainsi, et ce malgré la réforme qui vient d’être votée, il est urgent de se pencher collectivement sur les nouvelles réalités d’un monde du travail où l’IA sera présente partout. Cela devra se faire dans le cadre d’une réflexion globale sur l’arrivée de l’intelligence artificielle qui impliquera d’en anticiper les divers effets et de les réguler notamment au niveau international comme a commencé à le faire l’UNESCO en matière d’éthique. Ce sont des enjeux de souveraineté et de société majeurs, probablement l’un des grands débats de ce quinquennat et des suivants.
Julien Ravalais Casanova est consultant international spécialisé en diplomatie économique et culturelle. Il accompagne entreprises, gouvernements et institutions internationales dans leur stratégie d’influence, la construction et le financement de partenariats stratégiques. Il a exercé divers fonctions au sein de l’Administration française à Paris et à l’étranger. Il est également ancien haut fonctionnaire des Nations Unies.