Laurent Biehler, dit Sinclair, un temps, ce fut Napoléon au Port d’Arcole, tant il battait beau en emmenant ses troupes. Aux temps des claviers vifs et de Taxi Girl, dont il était le « musicien », le seul à avoir fait le conservatoire, même – parce qu’on n’apprend pas ces choses au conservatoire – s’il avait appris l’art de la composition dans un songbook des Doors. Avec Taxi Girl, il avait composé « Triste cocktail », la meilleure part du « Garçon » et de « Mannequin », à une époque ou Mirwais, le troisième larron, se cherchait encore, et il avait construit ces riffs qui ne devaient rien à la New Wave et tout au « Runaway » de Del Shannon. Les racines ! Comme Daniel D., il connaissait son rock sur le bout des doigts. L’Histoire et les mythes… Alors, bien sûr, comme Daniel et quelques autres d’entre nous, il avait joué le jeu jusqu’au bout. Héroïne et le reste… Et puis, au moment ou il ne fallait pas, pour quelques bouderies (Daniel Darc ne rêvait que de Dylan et de country, il arrivait à Laurent d’écouter Cure), le Taxi a splitté. Laurent, alors, était celui dont on attendait tout. Ses amis des Stranglers allaient le soutenir. Il était respecté par les Anglais, et en France, Bashung rêvait de jouer avec lui. Et puis… Il a déconné, oui, sûrement, commis des erreurs de jugement, perdu du temps. Un temps précieux, au moment où il fallait « construire » une carrière. Allez dire ça à Sid Vicious, tiens. Ou même à Rimbaud. Laurent était de ceux pour qui la vie passait forcement avant. Avec lui, j’ai enregistré pour CBS « Dès Demain » et « Boxeur Sonné » (avec son orgue Hammond). On rêva, un moment, de monter un groupe ensemble. Une tournée s’ensuivit. Sud de la France, Suisse… Un merveilleux souvenir : le garçon était drôle, brillant, attachant… Mais nous n’avons pas su enchaîner. Je ne devais, à l’époque, pas être plus malin que lui.
De jeunes gens vif argent qui avaient lu les livres et qui rêvaient à dix-sept ans de grand saut dans l’Inconnu. Il n’y en aura plus parce que Laurent, ceux de sa génération, avaient été nourris par leur époque, par un monde, une culture. Il fut un jeune punk, et ça, cela vous grave à vie ! Il n’y a plus rien de tout ça, ou de similaire, pour élever les âmes adolescentes.
Il n’y aura plus de Laurent Sinclair. De jeunes gens vif argent qui avaient lu les livres et qui rêvaient à dix-sept ans de grand saut dans l’Inconnu. Il n’y en aura plus parce que Laurent, ceux de sa génération, avaient été nourris par leur époque, par un monde, une culture. Il fut un jeune punk, et ça, cela vous grave à vie ! Il n’y a plus rien de tout ça, ou de similaire, pour élever les âmes adolescentes. Corollaire : non, il n y aura plus de Laurent Sinclair. Il laisse deux enfants, Marlon et Loraine. Et plein de souvenirs dans la tête des gens. Il meurt alors que Daniel Darc entre dans l’histoire avec ce film : Pieces of my life. Enfin, c’est l’effet que cela me fit : « Ah oui, là, il est vraiment mort… » Les deux furent des proches. Je ne sais plus ce que disaient Roman Gary, Delon ou d’Ormesson sur le fait de survivre à ceux qu’on a aimés, mais cela est décrit comme la grande souffrance du vampire romantique, selon Ann Rice, cette survie. Cela m’a toujours frappé de vérité.
Patrick Eudeline rend un vibrant hommage à Laurent Biehler dit Sinclair, claviériste de Taxi girl, un musicien inspiré et talentueux, dont la mort a été annoncée hier.
Patrick Eudeline
Requiem pour un punk : l’hommage de Patrick Eudeline à Laurent Sinclair (Taxi girl)
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Publié le
3 septembre 2019
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