Le 1er juillet 2024, la Hongrie prendra la présidence du Conseil de l’UE pour une durée de six mois. La perspective de cette présidence hongroise a déjà suscité tous les émois dans les cercles pro-Bruxelles, dont les éléments les plus radicalisés avaient proposé, en juin 2023, d’empêcher Budapest d’assurer cette fonction. La réalité finissant toujours par prendre le pas sur les entreprises idéologiques, la Hongrie assurera bien cette présidence et en a d’ores et déjà annoncé la couleur.
Une présidence post-9 juin
La présidence hongroise se déroulera en présence d’un nouveau Parlement européen et d’une nouvelle Commission. Des changements de grandes envergures sont peu probables, mais les partis critiques de l’UE ont toutes les chances de gagner en importance, leur progression devenant difficilement arrêtable, alors que les campagnes de dénigrement à leur égard se montrent chaque jour un peu moins efficaces.
Si la question des relations potentiellement houleuses avec la Commission dans le cas d’une reconduction d’Ursula von der Leyen reste ouverte, la coalition gouvernementale hongroise, le Fidesz-KDNP, bénéficiera sur la scène européenne d’un vent assurément plus favorable que celui soufflant depuis des mois. S’en prendre à la Hongrie en juillet, ce sera s’en prendre au fonctionnement des institutions de l’UE mais aussi à la légitimité de la ligne politique du gouvernement hongrois, qui aura gagné du terrain dans toute une série d’États membres. Ce sera alors l’occasion pour Budapest d’imposer des thématiques lui étant chères.
Bruxelles est du côté de la guerre
Le gouvernement hongrois n’a jamais pris de gants pour qualifier la politique européenne sur la guerre russo-ukrainien : il la considère inefficace, voire contre-productive, et accuse Bruxelles de vouloir entraîner le continent dans la guerre.
Bien que toujours décriée, cette position hongroise gagne objectivement du terrain. Force est en effet de constater que Bruxelles n’a pas su jouer un rôle constructif dans le rétablissement de la paix et de la sécurité en Europe. La lassitude s’installe, les perspectives d’une victoire militaire de l’Ukraine sont proches de zéro et des négociations avec la Russie s’annoncent inévitables. Le scénario martelé par les dirigeants hongrois depuis plus de deux ans se dessine et devient visible aux yeux de tous.
Par ailleurs, les propos d’Emmanuel Macron sur la possibilité d’envoyer des troupes sur le sol ukrainien a soulevé beaucoup de critiques en Europe, mais aussi outre-Atlantique, Anthony Blinken ayant d’ailleurs publiquement humilié le locataire de l’Élysée en donnant un entretien en français à Paris pour rappeler la position de son gouvernement : pas d’envoi de troupes américaines en Ukraine.
Une Europe économiquement aux abois
C’est aussi un échec de l’UE selon la Hongrie : la relance européenne ne fonctionne pas, l’octroi des fonds fait plus penser à une usine à gaz soviétoïde qu’à une politique intelligente, les sanctions profitent aux États-Unis, à l’Asie mais aussi à la Russie, et enfonce toujours plus l’Europe dans une ornière économique.
En Hongrie, il n’est pas rare d’entendre que les décisions prises à Bruxelles le sont pour satisfaire des intérêts n’étant pas européens. L’on pense ici bien sûr en premier lieu aux États-Unis, mais les pays d’Asie, notamment la Chine et l’Inde, ne sont pas en reste. Cette thématique du suicide économique de l’Europe se vérifie notamment en matière de questions énergétiques. Un sujet sur lequel la Hongrie est intraitable : pas d’idéologie quand il s’agit de sécurité énergétique.
Stop à l’Europe passoire
Sur la question de l’immigration illégale extra-européenne, la Hongrie est pionnière, sa frontière sud faisant d’ailleurs toujours l’objet de pressions problématiques. En 2015, Budapest était allé à l’encontre de la doxa bruxelloise en érigeant une clôture, tout simplement pour appliquer la loi et ne pas laisser cours aux réseaux mafieux et clandestins. La Hongrie n’a jamais été soutenue en Europe de l’Ouest sur cette question, mais les langues se délient et le débat devient de moins en moins tabou.
Les électeurs faisant un lien direct entre immigration et sécurité seront plus légitimes au lendemain du 9 juin, et la présidence hongroise ne manquera de mettre l’accent sur cette problématique, qu’il devient désormais presque impossible à dissimuler.
Défense des agriculteurs
Dumping ou solidarité ? Depuis des mois, la question de l’entrée sur le marché européen des céréales ukrainiennes sans restriction fait débat. Sur ce point-là aussi, la Hongrie, et les autres pays d’Europe centrale et orientale, ont tiré les premiers la sonnette d’alarme. L’arrivée massive de produits ukrainiens pose un problème de prix mais aussi un problème d’ordre sanitaire.
Un accord semble avoir été trouvé au niveau européen pour réguler cette entrée de céréales, mais cela risque d’être court pour un secteur agricole sous tension et par ailleurs en colère contre le pacte vert européen, d’autant plus que si les États membres sont pour des restrictions, la Commission peut à tout moment faire passer en force des mesures défavorables aux agriculteurs. Le gouvernement hongrois a fait de ce sujet une de ses priorités, et ne va pas par quatre chemins pour donner son sentiment : Bruxelles a abandonné les agriculteurs et s’est rangé du côté des oligarques ukrainiens.
Tout cela explique l’entrée sur la liste Fidesz-KDNP, en position éligible, du président de la chambre d’agriculture nationale. L’objectif de la présidence hongroise en la matière est le suivant : garantir une concurrence loyale et des moyens de subsistance pour les agriculteurs européens et sauvegarder la souveraineté de l’UE en matière d’approvisionnement alimentaire.
Vous avez dit corruption ?
La Hongrie fait régulièrement l’objet d’accusations sur le terrain de la corruption. Beaucoup de bruit pour peu de résultats finalement. Et surtout un deux poids deux mesures affligeant. Il aura fallu le travail des autorités belges et non ceux des institutions de l’UE, pour faire éclater le Qatargate. L’émoi à Bruxelles a été de courte durée, Eva Kaili est de retour dans le jeu. On pourra bien sûr arguer que le scandale a éclaté, qu’une enquête a eu lieu, mais les conséquences politiques sont minimes, Kaili faisant à l’évidence partie du camp du Bien, du cercle de la raison dont la Hongrie est exclue.
Et que dire de l’affaire des SMS d’Ursula von der Leyen ? En Hongrie, cette hypocrisie agace au plus haut point, et les donneurs de leçon bruxellois sont priés de bien vouloir balayer devant leur propre porte avant de mener leur chasse aux sorcières en Hongrie.
Un blocage honteux des fonds destinés à la Hongrie
Selon Budapest, Bruxelles n’a rien fait pour lutter contre la corruption et les conflits d’intérêts au sein des institutions européennes, mais utilise l’accès aux fonds de l’UE pour exercer une pression politique grossière.
Cette pression s’exerçait aussi sur la Pologne, mais le retour aux affaires de Donald Tusk a tout changé et Bruxelles a ainsi décidé de tout débloquer en à peine quelques semaines. Une victoire pour Tusk, mais aussi la preuve que l’octroi des fonds européens est devenu une arme de chantage politique, dont le Premier ministre slovaque Robert Fico de retour au pouvoir risque de faire prochainement les frais.
C’est sur l’ensemble de ces questions que la Hongrie appuiera pendant son semestre de présidence du Conseil de l’UE. Comme à son habitude, la Hongrie créera le débat, fera bouger les lignes et portera des sujets sur lesquels d’autres sont d’accord sans l’assumer.