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Caroline Roux :  « Nous faisons face à un effritement de la pensée éthique au nom de la science et du progrès »

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Publié le

15 juin 2018

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Caroline Roux est déléguée générale de l’Alliance VITA. L’Incorrect l’a rencontrée à l’occasion des états généraux de la bioéthique.

 

Quels sont les domaines de la Vie où le gouvernement souhaite changer la loi ?

Des incertitudes subsistent encore quant à la portée réelle de l’évolution qu’entend proposer le gouvernement. Les questions relatives à la fin de vie et l’euthanasie ne devraient pas figurer dans le projet de loi de bioéthique, comme l’a clairement indiqué la ministre de la Santé, notamment parce qu’elles ne correspondent pas un progrès de la science, mais concernent un débat « sociétal ». D’autant que nous sortons de quatre ans de débats sur la fin de vie lors du précédent quinquennat qui ont abouti à l’adoption de la loi dite Claeys Leonetti en 2016.

Mais de manière générale, il est important de prendre la mesure des menaces sur la vie humaine que constitue un changement de loi. Chaque évolution n’a fait qu’avaliser des transgressions supplémentaires. Les techniques de procréation, même si elles sont autorisées, posent des questions éthiques qui ont conduit pour ce qui concerne la fécondation in vitro à une surproduction d’embryons. Plus de de 220 000 embryons sont détenus congelés actuellement en France dont un tiers ne fait plus objet d’un projet parental. C’est l’assistance médicale à la procréation qui a rendu les embryons disponibles pour la recherche. Une interdiction formelle de la recherche sur les embryons était inscrite dans la première loi en 1994. Nous sommes passés progressivement d’un régime de dérogation de moins en moins strict en 2004 puis en 2011 pour aboutir à une autorisation dite encadrée en 2013, sans aucun débat et hors cadre de la révision de la loi de bioéthique.

Sur cette question, des pressions s’exercent pour faire sauter de nouvelles digues. Avec les évolutions scientifiques en matière de génomique et les nouveaux outils de génie génétique comme le CRISPR Cas 9, qui permettent de modifier des gènes au niveau cellulaires, la question se pose de modifier les gamètes ou les embryons pour faire naître à terme des « bébés OGM ». Le grand danger est d’aller vers la fabrication de bébés sur mesure avec des caractéristiques génétiques à la demande. Il existe également des pressions vers une intensification de la sélection des êtres humains par les techniques toujours plus poussées de diagnostic prénatal et préimplantatoire. L’eugénisme est latent dans les pratiques actuelles de contrôle des grossesses mais aussi dans les techniques de PMA et de sélection des embryons humains. Sans l’avoir explicitement choisi, nous nous y conformons : 96% de fœtus diagnostiqués trisomiques sont avortés dans notre pays qui a une des politiques de dépistage les plus élaborées au monde. Eliminer plutôt que soigner n’est pas de la science. Notre combat contre les maladies et les handicaps, dont je ne sous-estime pas la souffrance passe par une véritable recherche pour soigner et accompagner les patients et leur famille.

 

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Le gouvernement va-t-il proposer d’autoriser l’accès à l’Assistance médicale à la procréation hors indication médicale, la fameuse PMA pour toutes ?

Le président de la République s’était dit favorable à titre personnel à la PMA pour les femmes seules ou en couple de même sexe mais il souhaite un débat apaisé pour avancer. Céder à ces revendications ultra minoritaires, constitueraient un basculement décisif vers un droit à l’enfant et un marché de la procréation. Première étape, l’ouverture de la PMA aux femmes seules ou aux couples de femmes conduirait par effet domino à la Gestation par autrui (GPA) pour les hommes seuls ou en couple de même sexe.

Ce marché se nourrit de l’industrialisation des modes de procréation : il considère les hommes comme fournisseurs de main d’œuvre et des producteurs de matière première, ovocytes, sperme, utérus, pour fabriquer l’enfant sur commande. Ce marché ultralibéral existe déjà dans certains pays. On peut acheter des gamètes sur catalogue en fonction de certains critères physiques mais aussi intellectuels. La France s’est toujours opposée à la marchandisation du corps humain. Mais cela pourrait se faire plus insidieusement par une gestion étatique si nous poursuivons dans cette voie.

 

Comment se sont passés les débats citoyens ? A-t-il été possible de s’exprimer loyalement ?  Les promesses de l’exécutif relatives à un dialogue ont-elles été respectées ?

Les débats ont été inégaux, parfois biaisés ou conflictuels mais la plupart du temps, il y a eu un respect des prises de position. La mobilisation citoyenne pour maintenir des repères protecteurs de l’enfant et des plus fragiles a été forte. C’est indéniable. Il est difficilement envisageable que ce rapport de convictions soit ignoré au moment de l’élaboration de la loi.

 

Concernant les travaux des “organismes spécialisés” ou nationaux, la pluralité et l’égalité ont-elles été respectée ? Quelle a été la place d’association comme Alliance VITA ?

Le CCNE a ouvert largement les auditions aux associations et instances qui le souhaitaient. Alliance VITA a été entendue longuement en mars dernier lors de son audition. Nous avons également été auditionnés par d’autres instances qui ont travaillé sur les enjeux bioéthiques comme l’Académie de médecine et le Conseil d’Etat tout récemment ou encore le Conseil économique, social et environnemental et la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur la fin de vie. De manière générale, nous sommes reconnus comme des experts ayant une vision globale des sujets de bioéthique, avec à cœur le respect de la vie et de la dignité des plus fragiles. C’est notre boussole dans ces débats et nous avons pu l’exprimer à chaque audition.

L’expérience de terrain de nos services d’écoute SOS Bébé et SOS fin de vie est cruciale pour saisir les conséquences des décisions politiques sur les champs de la maternité, de la procréation ou encore de la fin de vie. Nous avons également beaucoup travaillé à la formation et l’information : notre Université de la vie, qui forme sur les questions bioéthiques a rassemblé plus de 7000 personnes en janvier dernier.  Nous constatons une soif de nos concitoyens de mieux s’approprier ces sujets complexes qui concernant nos vies personnelles, notre santé, et les générations futures.

 

L’ingérence d’organismes à but lucratif a-t-elle été constatée, et si c’est le cas dans quelle mesure ? – Quelles sont les priorités de ces organismes : PMA, GPA, manipulation ADN ?

La question économique n’est jamais présentée comme première. Mais des sociétés savantes, des professionnels ou encore des groupements de chercheurs sous couvert d’expertise scientifique peuvent cacher des conflits d’intérêts conscients ou inconscients par leurs préconisations. Si nous prenons la question de l’infertilité à laquelle nous sommes très sensibles à Alliance VITA :  nous constatons une surenchère de propositions de techniques de procréation, alors que la vraie attente que confient beaucoup de couples serait de pouvoir faire être guéris de leur infertilité et de procréer de manière autonome. C’est-à-dire éviter de passer par la case PMA, éprouvante en particulier pour le corps des femmes et la vie des couples.

En réalité la banalisation de la PMA (insémination ou fécondation in vitro) tend à détourner des véritables recherches des causes de l’infertilité pour la prévenir ou encore de chercher des thérapies de restauration de la fertilité. On sait aujourd’hui que nos modes de vie ou des questions environnementales, je pense aux perturbateurs endocriniens, peuvent avoir des conséquences sur l’infertilité. Il s’agit d’une question sanitaire majeure alors que l’infertilité masculine a explosé dans les pays occidentaux. Il est également reconnu que le retard de la maternité est une cause importante de recours aux techniques artificielles de procréation. Prendre des mesures comme le préconise le CCNE pour faciliter l’accès à la maternité plus jeune est une proposition qui doit être encouragée. D’autant qu’une possible grossesse demeure aléatoire voire médicalement risquée, pour les femmes plus âgées.

Au contraire, des professionnels de la procréation revendiquent de pouvoir offrir aux femmes de congeler leurs ovocytes quand elles sont encore jeunes « par précaution » pour qu’elles puissent procréer plus tard. Tout cela a un coût. Cette fuite en avant dans le tout technique, non seulement n’assure pas que ces femmes puissent avoir des enfants mais en plus prédisposent toutes les femmes à des pressions sociétales et économiques pour décaler leurs grossesses. Les enjeux financiers existent également avec les propositions de tests génétiques ou de diagnostic prénataux de plus en plus précoces alors qu’ils ne sont pas assortis de thérapies pour soigner dans la période prénatale. Nous observons que ces diagnostics se soldent très souvent par des avortements dits médicaux.

 

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Dans quelle mesure l’Union Européenne et son pouvoir pèsent-ils sur les débats ? Celui-ci est-il encore à portée nationale ?

Les questions bioéthiques sont reconnues de compétence nationale. Cela dit l’Union européenne peut contribuer dans le secteur de la santé au financement de recherches controversées d’un point de vue éthique comme les financements sur les recherches sur les cellules souches embryonnaires à la source de forte dissension. Cette instance n’intervient pas d’un point de vue juridique mais instille un système de pensée par des avis, des rapports, ou encore des recommandations d’harmonisation.  A ce titre, le risque de marchandisation de l’humain est plus culturel que juridique. Il faut être vigilant à ce que le grand marché commun des biens et des services ne dévie pas vers l’humain.

Nous avons œuvré avec d’autres associations françaises et étrangères au niveau du Conseil de l’Europe pour éviter qu’un rapport sur la maternité de substitution, c’est-à-dire la GPA, aboutisse à une recommandation tolérant cette pratique. Alors que la GPA instrumentalise les femmes et contrevient gravement aux droits de l’enfant, objet de contrat. Ce type de texte ne s’impose pas aux pays membres mais crée un corpus de textes internationaux sur lesquels la Cour européenne des droits de l’homme ou encore la Cour européenne de Justice peuvent s’appuyer en cas de litige. C’est donc important d’agir également au niveau européen et plus largement international. En matière bioéthique, le seul texte contraignant au niveau international pour les pays qui l’ont ratifié est la convention de biomédecine (convention d’Oviedo) élaboré par le conseil de l’Europe qui interdit notamment le clonage, ou la création d’embryons pour la recherche.

 

Avez-vous eu l’impression de faire face à un agenda politique et législatif déjà posé ?

Ce qui pose question c’est le système de révision régulière que l’on s’impose depuis la première loi bioéthique en 1994. La France a élaboré sa législation bioéthique en s’appuyant sur des principes fondamentaux, qui se voulaient protecteur de la vie et de la dignité.  A force de dérogation, ces principes se vident de leur substance comme on le constate avec la manière dont est considéré l’embryon humain qui peut être objet de recherche et détruit, s’il n’a plus de « projet parental ». Alors que des options plus éthiques existent avec les cellules souches de sang de cordon ou les cellules reprogrammées. Plus qu’à un agenda politique, nous faisons face à un effritement de la pensée éthique et des considérations anthropologiques au nom de la science et du progrès. Mais de quel progrès parle-t-on ? Tout ce qui est possible n’est pas forcément un progrès.

 

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Quels sont les domaines sur lesquels une opposition peut se créer ?

Une opposition existe déjà contre la « PMA pour toutes » et la GPA.  Elle regroupe des personnes de sensibilités et d’horizons différents qui font primer l’intérêt supérieur de l’enfant et de ses droits sur les désirs individuels d’adultes. Il faut distinguer les domaines pour lesquels il y a une opposition et la façon dont elle s’exprime : la défense de la non marchandisation du corps humain peut obtenir un consensus assez large. Il en est de même pour dénoncer les dangers de modifications génétiques pour faire naître des bébés génétiquement modifiés.

Je pense qu’il est urgent également qu’une opposition se crée pour infléchir l’eugénisme qui s’impose de manière insidieuse. Cela commence par nous interroger nous-même, accueillir la fragilité de nos corps, de nos vies comme un tremplin de la relation et de la solidarité. L’enjeu est culturel et social. Notre société souffre d’un manque d’accueil inconditionnel de chacun dans sa différence et dans les différentes étapes de la vie. Cela ne veut pas dire rejeter la médecine et la science, au contraire. Mais ne pas leur faire porter des illusions de toute puissance qui supprimeraient la vulnérabilité humaine.

 

Parmi les changements proposés par le gouvernement, y a-t-il des avancées positives ?

Le gouvernement n’a encore rien proposé mais a soulevé des questions. Certains domaines nouveaux de développement nécessitent un encadrement : Je pense à l’intelligence artificielle, l’utilisation des données de santé ou encore les découvertes en neuroscience. Protéger les données personnelles des citoyens, l’intégrité des capacités du cerveau sont des vrais défis de liberté et d’égalité. L’Etat a un rôle à jouer pour tirer parti de ces évolutions tout en assurant la protection des citoyens sans céder à l’ultralibéralisme.

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