Chaque année, le dernier samedi de mai, un cortège bigarré vient se masser au Père-Lachaise. Les drapeaux volent au vent, et sous le ciel de Paris ondulent des nuances de rouge, de noir, de rose, parfois même de vert. Frappées d'acronymes et de logos divers, ces bannières partisanes se pressent autour du Mur des Fédérés. Au milieu des tombes des anciens communeux, les chants résonnent en chœur. Aux pieds des vieilles pierres, gerbes d'œillets rouges et autres couronnes de fleurs s'entassent pêle-mêle. Sur chacune de ces couronnes, les mêmes logos, les mêmes acronymes. Solennellement, chaque syndicat, chaque parti de gauche, chaque édile communiste s'oint du sang versé par les derniers fusillés.
Voilà cent cinquante ans que la gauche rend hommage à la Commune en y inoculant tous ses fantasmes. Cent cinquante ans que les milliers de Parisiens massacrés sur ordre de monsieur Thiers forment le martyrologe des vulgates marxiste et gauchiste. Cent cinquante ans que la gauche prétend trouver dans la Commune ses racines et son acte fondateur. Par inculture ou par malhonnêteté, cette gauche se fourvoie.
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La droite bourgeoise n'est pas en reste dans l'erreur : elle aussi méconnaît la Commune en se contentant de jeter l'opprobre sur ce que la gauche révère. Cette convergente ignorance germe et prospère sur une foultitude de mythes et de clichés.
Lieu commun de gauche et de droite : « La Commune est une révolution marxiste (ou proto-marxiste) »
Voici l'une des plus fumeuses bêtises sans cesse ressassées sur le sujet. À gauche, l'on s'en félicite ; à droite, l'on s'en émeut ! Ce mythe est le pur produit de la propagande bolchévique et d'une partie de l'historiographie marxiste mais qu'importe, il y aura toujours un journaliste de droite pour tomber dans le panneau.
En réalité, sur les 92 élus du scrutin du 26 mars 1871, l'on ne compte guère que deux marxistes convaincus : Léo Frankel et Charles Longuet. Pour le reste, deux pôles idéologiques émergent : l'un est acquis aux idées de Proudhon, l'autre est d'inspiration blanquiste. Ces deux tendances majoritaires de la Commune s'opposeront parfois avec virulence : d'un côté, des anarchistes nourris par les théories mutuellistes et fédéralistes, de l'autre des putschistes centralisateurs, des professionnels du coup d'État dévoués à leur chef charismatique.
Et pourtant, une hostilité commune et tenace oppose ces deux traditions au marxisme. L'aversion réciproque entretenue par Marx et Proudhon est proverbiale ; celle qui oppose blanquistes et marxistes est moins connue. Théoricien du matérialisme historique, Marx prétend que c'est la révolution capitaliste qui, arrivée au terme de son processus, mourra sous le poids de ses propres contradictions : elle sera renversée par la masse des travailleurs ayant forgé leur conscience de classe dans les hauts fourneaux de la grande industrie. En bon carbonaro, Blanqui délaisse cette récupération matérialiste de la dialectique hégélienne, préférant fonder ses projets politiques sur le vitalisme, l'élitisme, la discipline paramilitaire, bref : le coup d'État. Pour Blanqui, l'ordre bourgeois ne peut être renversé que grâce au courage d'une élite révolutionnaire regroupée en armée secrète et toujours prête à l'action. Patriote exalté, admirateur de l'Antiquité gréco-latine, le natif du pays niçois méprise l'esprit germanique qu'incarne Marx.
Patriote exalté, admirateur de l'Antiquité gréco-latine, le natif du pays niçois méprise l'esprit germanique qu'incarne Marx.
Chez bon nombre de disciples de « L'Enfermé » – surnom dû à ses trente-six années d'incarcération, ce mépris sera avivé par la guerre de 1870 jusqu'à se muer en véritable haine qui perdurera bien après l'écrasement de la Commune. [...]
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