C’eût été tentant de profiter de votre notoriété de comédienne en conservant votre nom. Pourquoi avez-vous choisi de pratiquer la musique sous le masque de Laughing Seabird ?
Je venais d’achever le morceau « My Shell » et j’avais surtout envie de distinguer la comédienne de la chanteuse. J’étais en train de chercher un nom lorsque j’ai entendu une mouette rieuse. Et j’ai fait de suite le lien avec une phrase que j’avais déjà écrite dans le texte du morceau « My Shell » : « and I become the laughing seabird ». Tu entends une mouette à Paris et c’est immédiat, tu es ailleurs, en bord de mer ! Le son possède ce pouvoir de nous transporter instantanément en un autre lieu !
Il semble que c’est lorsque vous entrez dans l’intime, comme dans « In Spite Of », que vous passez du français à l’anglais...
Peut-être, mais je ne suis pas sûre non plus. J’ai aimé cette langue très tôt, je suis presque plus Beatles que Piaf, pardon ! Certaines émotions se présentent en français ou en anglais. Il n’y a pas de règles. C’est l’instant, le sentiment d’un moment et ce qui s’y tricote. « In spite of » est surtout un motif en guise de clin d’œil au « Black Bird » de Paul McCartney évoquant le fait qu’il aura peut-être fallu perdre certains êtres pour leur pardonner totalement. C’est tenace, la colère ! La séparation irréversible met parfois les compteurs à zéro, cuit à petit feu les incompréhensions et les communications diffciles. Alors, en dépit de tout, reste au fond de la marmite un nectar de doux regret et d’amour.
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Pourquoi avez-vous choisi ces deux idiomes justement ?
Le passage de l’un à l’autre crée un hiatus sonore intéressant. Ensuite, techniquement, j’ai fait un travail pour que ma voix soit placée au même endroit dans les deux langues. Ce qui a représenté un effort important, notamment sur l’anglais. J’avais une bonne base mais j’ai tout repris en phonétique ! Ça s’apparente à de la « proprioception » [la perception des positions des différentes parties du corps, Ndlr] utilisée par les sportifs de haut niveau pour optimiser les performances. Ici, évidemment, le travail de perception intéresse plutôt l’appareil phonatoire en vue d’obtenir un bénéfice sonore optimum. J’ai eu envie de cette exigence. Le cheminement initiatique est dur en musique. Je ne me sentais pas légitime ! J’ai mis des années à assumer : il a fallu faire sauter des verrous et tout réinitialiser.
Doubler Nathalie Portman, Émily Blunt, Sienna Miller, Gillian Anderson et autres Dr Meredith Grey de Grey’s Anatomy a sûrement dû contribuer à vous aider à peaufiner votre propre voix de chanteuse ?
Plus que le doublage au cinéma, c’est dans les dessins animés, radios, publicités et documentaires que l’exploration de la phonation est poussée à son paroxysme et que l’utilisation multiple de la voix offre une meilleure connaissance de son potentiel. Et inversement, rechercher ma singularité dans le chant m’a permis d'affiner en voix-off . C’est tellement jouissif de trouver l’unité qui ferait que l’on chante comme on parle, que l’on parle comme on chante. Il est question de guérison aussi, le chant est cet outil absolu pour retrouver de la verticalité et parvenir à être authentique. Sincérité et singularité ont été les fruits d’une nécessité intérieure et j’ai pu trouver cette intégrité dans un métamorphisme vocal.
Il est question de guérison aussi, le chant est cet outil absolu pour retrouver de la verticalité et parvenir à être authentique
« I Feel Fat » se confronte aux sentiments mal digérés. Une référence à la « grosso-phobie » ?
Je ne pars pas en croisade sur ce sujet. De fait, la grosso-phobie est présente dans les médias. Il me paraît nécessaire d’essayer d’analyser afin de comprendre pourquoi la société fait ça. Mon sentiment n’est pas tant qu’il y ait une tendance extérieure à ostraciser les gros mais plutôt que ça relève d’une introspection. Et que cela demande d’aller à la source des mécanismes et de travailler à la racine. « I Feel Fat » est un peu autobiographique au départ. J’ai été mal très longtemps. C’était une période de manque a ectif avec la notion de se remplir et de combler un vide par plein de choses. Qu’est-ce qui se passe quand on accepte cet état de vide et qu’on s’y confronte volontairement ? On va immanquablement se débarrasser du corset qu’on s’inflige, atteindre un endroit où l’horizon recule et reprendre contact avec un espace de création en essayant au maximum de se déprogrammer. C’est un long chemin initiatique avant de trouver une libération. C’est assurément la traversée du désert et ça prend du temps.(...)
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