C’est l’exercice le plus difficile : parler d’un philosophe mort somme toute récemment, qui a donc des disciples vivants, lesquels comme tous disciples ne sont pas d’accord entre eux, et qui a fait presque profession d’être obscur pour montrer la lumière. Maître du royalisme d’après-guerre, quand le maurrassisme était presque entièrement disqualifié par les fautes morales, poli- tiques et même spirituelles de son chef et de certains de ses disciples sous Vichy, Pierre Boutang aura essayé toute sa vie de relever la tradition dont il fut le fils puissant et déroutant : étrange destin que de vouloir devenir le penseur d’une méta- physique de l’enracinement et de la trans- mission quand précisément ceux-ci ont été rompus.
Victime de l'épuration pour avoir rallié Giraud en Afrique du nord et non de Gaulle, le jeune normalien Boutang est rayé des cadres de l'instruction publique et interdit d'enseigner. Voilà l’érudit platonisant obligé de se colleter au journalisme, participant à et fondant diverses revues nationalistes, tout en publiant des pamphlets comme Sartre est-il un possédé ? et La République de Joinovici.
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Mais Boutang vaut beaucoup plus que son époque et dans la lignée de son second maître Gabriel Marcel mâtine son maurrassisme de phénoménologie et surtout de catholicisme. Il en tire dès 1948 une grande œuvre, La Politique considérée comme souci, où il tente de refonder la cité des hommes en affrontant Machiavel, Marx, Kelsen et Carl Schmitt : le politique n’est ni le tragique, ni la technique, ni une intuition sentimentale mais cette prudence fondée sur le réel le plus concret qui doit néanmoins déboucher sur une vraie quête méta- physique. [...]
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