Depuis décembre, la Convention citoyenne sur la fin de vie réunit 184 citoyens tirés au sort et représentatif de la population française, pour plancher sur des questions aussi lourdes que les soins palliatifs, le suicide assisté et l’euthanasie. Certes, leur travail est purement consultatif. Mais primo, philosophiquement, cette Convention doit réaliser l’idéal de la démocratie égalitaire et délibérative tant rêvée par les progressistes, via le mythe du tirage au sort. Synonyme: faire trancher des questions très lourdes sur le plan éthique et moral à des citoyens d’excellente volonté mais absolument pas formés en la matière. Il faut donc les « éduquer » vitesse grand V. Secundo, plus pratiquement, leur travail permettra au gouvernement, si toutefois le résultat va dans son sens (suspens !), de vendre plus facilement son texte en se revendiquant du peuple éclairé. On y a jeté un œil et on n’a pas été déçu.
Orienter l’opinion : méthode
L’organisation de la Convention est chapeautée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), instance qui réclamait dès 2018 dans un rapport la « sédation profonde explicitement létale ». Mieux encore, son président actuel, Thierry Beaudet, est un ardent défenseur de l’euthanasie. Pour comprendre, il suffit de se pencher sur son CV : le bougre était patron de la Fédération nationale de la Mutualité française. Le cadre est posé.
À propos de l’affaire Vincent Lambert, la bibliographie recommande le livre-témoignage pro-euthanasie du frère François (Pour qu’il soit le dernier) mais pas celui de la mère Viviane (Pour la vie de mon fils)
Le comité de gouvernance et les garants de la Convention sont moins marqués sur la question de la fin de vie puisque, hormis la présence notable de Jean-François Delfraissy, ils rassemblent surtout des politologues et sociologues promoteurs de la démocratie participative. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont bien travaillé.
La bibliographie donnée aux participants était présentée comme « le socle documentaire le plus objectif et le plus neutre possible ». Pourtant, si elle recense de multiples ouvrages favorables à l’euthanasie, aucune trace des livres parus en 2022 qui alertent sur ses dangers, tels Quand l’euthanasie sera là de Damien Le Guay, Fin de vie en République d’Erwan Le Morhedec, L’Impasse de l’euthanasie de Henri de Soos ou Fin de Vie : peut-on choisir sa mort ? de Jean-Marie Gomas et Pascale Favre. Trop marqués peut-être? Il est toutefois conseillé de lire Jean-Luc Romero, ancien patron de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), et Denis Labayle, médecin notoirement engagé pour l’euthanasie. À propos de l’affaire Vincent Lambert, la bibliographie recommande le livre-témoignage pro-euthanasie du frère François (Pour qu’il soit le dernier) mais pas celui de la mère Viviane (Pour la vie de mon fils), et renvoie vers l’enquête de la journaliste Ixchel Delaporte, ancienne de L’Humanité, mais pas vers la synthèse critique d’Emmanuel Hirsch. Côté filmographie, Tout s’est bien passé est mis en avant alors que la dystopie japonaise Plan 75, qui raconte la mise en place un plan d’accompagnement à l’euthanasie pour lutter contre le vieillissement d’une population qui obère les finances publiques, lui, est oubliée. Neutre qu’on vous dit.
Lire aussi : Éditorial d’Arthur de Watrigant : Le projet de la mort qui tue
Six des neuf sessions ont déjà eu lieu. Et c’est peu dire que leur organisation pose question. Lors de la première séance, les cinq intervenants français sont favorables à l’euthanasie. Lors de la troisième séance où les citoyens auditionnaient « les spiritualités non-religieuses » (dont quatre représentants de la maçonnerie, décidément fort représentée quand on sait que l’Église catholique n’a pu s’exprimer qu’au travers la voix de l’archevêque de Paris Laurent Ulrich lors d’une table-ronde religieuse à six interlocuteurs), les deux philosophes invités, Monique Canto-Sperber et André Comte-Sponville, sont connus pour être favorables à l’aide active à mourir, respectivement le suicide assisté et l’euthanasie. Plusieurs tables-rondes ont aussi été organisées pour présenter quelques législations étrangères. Lors de la première session (Belgique et Suisse) puis de la quatrième (Pays-Bas, Québec, Oregon et Italie), des intervenants étrangers étaient donc invités. Or, tous étaient des militants favorables à l’euthanasie (un médecin qui pratique l’euthanasie, un membre de l’association Dignitas, etc) – hormis le Hollandais Théo Boer, qui mit en garde l’assemblée sur l’impossibilité de contenir les demandes d’euthanasie dans le cadre initialement convenu par la loi. On a vu plus objectif.
Orienter les résultats : méthode
Un vote sur les grandes orientations avait lieu mi-février. Le samedi, le sujet des soins palliatifs est traité de manière très fouillée avec quarante et une questions. Soutien massif de l’assemblée, mais aucune communication médiatique. Le dimanche, pour des questions aussi engageantes que le suicide assisté et l’euthanasie, il n’y a plus qu’une dizaine de questions présentées d’une manière peu commode.
75 % des citoyens (120 sur 160) se disent favorables à l’euthanasie « sous conditions », auxquels l’on pourrait ajouter les 11 % (18) favorables à l’euthanasie « sans conditions », de sorte que 86 % des citoyens sont désormais favorables à l’euthanasie, d’une manière ou d’une autre, alors qu’ils n’étaient que 66 % au début de l’exercice
« 167 citoyens sur les 184 participants à la Convention étaient présents pour le vote » de dimanche. Après quelques questions générales, le vote est organisé en un bloc suicide assisté et un bloc euthanasie. Penchons-nous sur celui-ci à titre d’exemple. En ouverture, il est d’abord demandé si l’euthanasie doit être autorisée : 109 oui, 50 non et 7 abstentions, sur 166 voix. Moins de 66 % y sont donc favorables. Première surprise : les 2/3 requis le samedi pour que l’idée soit jugée « forte » ne sont pas atteints – mais pas de panique, la condition des 2/3 n’était plus retenue pour le vote de dimanche.
Ensuite, quatre questions plus précises sont posées pour préciser le cadre dans lequel l’euthanasie devrait être autorisée. Deuxième surprise : le choix de la réponse « non » a désormais disparu. Pour schématiser, on ne peut plus répondre que « beaucoup », ou « un peu », ou « je m’abstiens ». Stupéfiant. Et les résultats le sont plus encore. Ainsi la première sous-question: à qui faut-il ouvrir l’euthanasie? 19 optent pour les majeurs seulement, 107 pour les majeurs et mineurs, 33 s’abstiennent, sur 159 voix. Troisième surprise : quelques-unes des 50 personnes d’abord opposées à l’euthanasie y sont visiblement devenues favorables, puisque 126 citoyens (au lieu de 109) répondent ici par l’affirmative, d’une manière ou d’une autre. Ramenés en pourcentage, les résultats sont purement incompatibles : alors que moins de 66 % des personnes s’étaient dites favorables à l’euthanasie dans la première question, 67 % se disent désormais favorables à l’ouverture de l’euthanasie aux mineurs, et 79 % à l’euthanasie aux majeurs. Pire encore, la sous-question suivante : 75 % des citoyens (120 sur 160) se disent favorables à l’euthanasie « sous conditions », auxquels l’on pourrait ajouter les 11 % (18) favorables à l’euthanasie « sans conditions », de sorte que 86 % des citoyens sont désormais favorables à l’euthanasie, d’une manière ou d’une autre, alors qu’ils n’étaient que 66 % au début de l’exercice. Chapeau l’artiste !
Lire aussi : Contre l’euthanasie et le suicide assisté
En clair, les résultats n’ont aucun sens. De là, deux options. Ou les citoyens ont changé d’avis entre-temps, et la démocratie n’a plus aucun sens. Ou il y a eu trucage de l’opinion avec la suppression du « non » : les votants n’avaient plus le choix qu’entre deux nuances d’euthanasie ; l’opposition à toute forme d’euthanasie ne leur était plus présentée comme une option possible.
Sur l’euthanasie, la méthode n’est pas nouvelle. C’est après tout ce que fait le célèbre sondage IFOP cité par tous les médias. « Certaines personnes souffrant de maladies insupportables et incurables demandent parfois aux médecins une euthanasie, c’est-à-dire qu’on mette fin à leur vie, sans souffrance. Selon vous, la loi française devrait-elle autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de ces personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ? » À cette question en 2021, ce n’est ni 66 %, ni 86 %, mais 93 % des Français qui répondaient oui. Bref, on a compris la manip : posons la question de manière à obtenir la réponse souhaitée. C’est beau comme la démocratie.