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Éditorial culture de Romaric Sangars : L’arrière-garde est fastidieuse

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8 mai 2024

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« Encore un échec, une redite stérile, une manière de singer des gestes plutôt que ressusciter la foudre en mettant les doigts dans la prise. Voilà pourquoi l’arrière-garde est fastidieuse. » Éditorial culture du numéro 75.
© Sergey Vinogradov – Unsplash

Ce mois-ci, une conjonction de petits événements m’a interpelé : le centenaire de la publication du Manifeste du surréalisme d’André Breton, d’abord, qui m’a fait songer qu’en dépit de mes vœux, nous n’avions plus d’avant-gardes. Les lettres de Drieu la Rochelle, republiées par Gallimard à cette occasion, à l’adresse de ses anciens amis, qui relançaient un débat passionnant sur les moyens et les fins de l’art. Enfin, la publication de L’Adresse, les rendez-vous du déversoir, chez Seghers, un nouveau recueil des poèmes-minute d’Arthur Teboul, le chanteur de Feu ! Chatterton, qui propose un renouveau de l’écriture automatique.

Le statut de chanteur en vue n’est pas forcément délégitimant. Au fond, les premiers poètes étaient des bardes, les derniers pourraient l’être aussi

Je vous vois me voir venir. Ah ! Arthur Teboul, vulgaire chanteur de pop-rock faussement bashungien, prétendre rivaliser avec Breton et se croire moderne en recyclant une méthode centenaire (plus que centenaire parce que Les Champs magnétiques datent de 1919), la bonne blague ! Il va l’allumer dans son édito ainsi que tous les abrutis suffisamment éviscérés pour avaler cette arnaque et le condamner, lui, à être traîné par un TGV Paris-Barcelone avec des cris d’Antonin Artaud en boucle grésillant dans les écouteurs puis à épouser un poulpe non discriminé et à finir ses jours avec. Histoire de donner dans la rééducation pédagogique. Cessez de me croire si prévisible. D’abord, le statut de chanteur en vue n’est pas forcément délégitimant. Au fond, les premiers poètes étaient des bardes, les derniers pourraient l’être aussi. D’ailleurs Raphaël Haroche (Raphaël) en tant qu’écrivain, s’il est totalement survendu, n’est pas médiocre. Bon, Olivia Ruiz et Mathias Malzieu démontrent, eux, que le statut médiatique préexistant autorise à refourguer n’importe quoi, mais enfin, ce n’est pas une raison pour en déduire des lois fatales.

L’argument pénétrant de Drieu, compagnon de route puis admirateur sincère des surréalistes, quant au défaut de résultat de l’écriture automatique, c’était que celle-ci, « pragmatiquement », si je puis dire, aboutissait à un art de la mémoire, puisque c’était essentiellement ses ressources qui étaient mobilisées dans l’urgence et la spontanéité à quoi s’obligeaient les surréalistes. La mémoire comme résultat de cette révolte de l’inconscient : étonnant paradoxe. Ce qui impliquait donc le réflexe ancien, les réussites passées, et Drieu d’accuser les surréalistes (abusivement) de produire du simple néo-romantisme, voire du toc.

Lire aussi : Éditorial culture de Romaric Sangars : chers immortels

Observons, sereinement et sans a priori, la production automatique de Teboul. Celui-ci a donné durant une semaine de nombreux rendez-vous à des inconnus venus recevoir, dans un cabinet approprié, un poème-minute conçu devant eux en moins de 390 secondes. L’heure d’achèvement est notée, le texte tamponné, scanné, l’original offert. On pourrait parler de « performance », ou de taylorisme-fordisme littéraire. Teboul appréhende son expérience comme une école de l’attention (ou un genre de bouddhisme bavard). À juger sur pièce, on remarque d’abord que la poésie automatique de Teboul, n’est pas si « automatique », en ce sens qu’elle est passablement réfléchie, articulée, loin des absurdités ou des obscénités parfois éclatantes des surréalistes ; en somme, de l’automatisme « light » à destination des foules. Ensuite, il apparaît que 50 % de ses textes relèvent du commentaire parasite. Les échos des circonstances, de son protocole, du climat, de l’humeur, de l’heure, du visiteur ou de la visiteuse, de leur apparence ou de leur posture, sont traduits par le chanteur avec des phrases cherchant leur direction dans l’embarras, l’hésitation ou l’excitation qui sont les siens. Quant aux 50 % qui restent, ils donnent raison à l’argument de Drieu : on y trouve essentiellement la mémoire d’Arthur Teboul en rapport avec ce qu’il prétend produire, de la poésie, laquelle, dans son souvenir immédiat, est associée à l’enfance, la danse, le rire, le voyage – soit une collection de clichés mièvres.

Encore un échec, une redite stérile, une manière de singer des gestes plutôt que ressusciter la foudre en mettant les doigts dans la prise. Voilà pourquoi l’arrière-garde est fastidieuse. Nous attendons d’autres réveils, nous nous impatientions de nouveaux troubles. Et que l’époque cesse de confondre la vieille démangeaison avec la révolte, la démonstration redondante avec l’assaut nécessaire, la pose avec l’audace.


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