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Le poil de cul de la philosophie

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Publié le

4 juin 2019

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A l’approche du baccalauréat, un serpent de mer de la notation, à savoir l’évaluation toujours problématique de l’épreuve de philosophie va refaire surface. Guillaume von der Weid, professeur de philosophie à Paris nous livre son approche originale de cette question. 

 

Le bac approche et avec lui l’épreuve si redoutée  de philosophie. Car la philosophie est une double épreuve. Pas seulement d’examen, mais aussi psychologique. Comment ne pas trembler devant l’évaluation d’une discipline si insaisissable, si complexe, si subjective ? Comment ne pas douter de soi quand on ne sait pas ce qu’on attend de vous ? En l’absence de critères clairs de notation, la philosophie angoisse au lieu de rasséréner et paralyse au lieu d’affermir. Contre-productivité de l’école ou nature même de la philosophie ?

L’incertitude qui entoure l’évaluation philosophique provient moins du flou de ses critères que de son objet : le savoir ou la réflexion ? Car si ces deux pôles de l’intelligence vont de pair dans la vie courante, ils sont séparés dans le travail philosophique, où la réflexion domine. On dira que la réflexion suppose toujours le savoir, ne faisant ainsi que confirmer leur différence. Que l’épreuve du 100 mètres suppose qu’on ait des chaussures ne fait pas des coureurs des cordonniers. Or l’institution scolaire, qui tremble de réveiller la “guerre des programmes” (1975-2005), tente la réconciliation en affirmant qu’il faut faire les deux : apprendre des savoirs et exercer sa pensée. Synthèse habile mais inaudible pour des élèves à qui, depuis le début de leur scolarité, on répète qu’il faut répéter pour apprendre. D’où deux types de réactions  : l’impuissance et la panique. L’impuissance de ceux qui ne font rien sous prétexte qu’on ne sait rien, la panique de ceux qui veulent tout savoir alors qu’on ne peut pas.

 

Lire aussi : Patrice Franceschi : « Reforgeons notre corps et notre esprit pour le combat »

 

Et pourtant, le but de l’épreuve est aussi simple que celui de la philosophie : penser. Mais qu’est-ce que penser ?

 

Tout d’abord, on ne pense pas par références, sans quoi Wikipédia ou Siri seraient des génies. Montaigne le disait déjà : “mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine”. Quand toutes les informations sont sur Internet, y compris les fausses, il s’agit plus que jamais de réfléchir davantage que de remplir. Réfléchir à quoi ? aux choses, aux choses telles qu’elles sont c’est-à-dire, puisque nous décidons de les créer, de les nommer, de les utiliser, des choses telles qu’elles pourraient être autrement. Exemple ?

“Un poil de cul” dis-je souvent à mes élèves. Poil plus réel que la caverne de Platon ou l’épistémologie de Popper. Tout le monde en a, tout le monde en a honte. Voilà la clé. La honte, comme le comique, le scandale, l’angoisse, est un indice de vérité. La pensée n’est jamais plus à l’aise que dans le réel tel qu’il gêne, c’est-à-dire réclame d’être pensé. Le poil est naturel mais honteux. On le cache et on l’exhibe, on l’épile et on le coiffe, on l’épouille et on le maquille. Bref, il gratte. Le réel pose problème et penser, c’est le faire parler.

Si vous partez de théories déjà pensées, de jargon déjà désséché, d’auteurs déjà morts, vous ne produisez pas de pensée, vous ne faites au mieux que la stimuler chez les 5% d’élèves qui baignent déjà dans la réflexion. Lorsque seuls 5% d’une génération accédaient au lycée, les “cours” conduisaient au conformisme. Aujourd’hui, cela conduit à l’exclusion. D’où les lamentations, chaque année plus aiguës, sur la baisse des résultats, auxquelles répondent les repêchages les plus profonds. Or ce n’est pas le niveau qui baisse, c’est une certaine vision de l’enseignement qui peine à renoncer à l’étroitesse de sa cible, concentré sur les savoirs universitaires. Le poil au contraire amène  chacun à penser à la pudeur, au corps, au désir, aux normes sociales, à la morale, à l’opposition nature-culture et, avec un peu de dextérité, aux 20 notions du programme. L’erreur des programmateurs est de partir de ce qu’ils sont, de l’éminente culture qu’ils ont si chèrement payée, en imaginant que, par une nouvelle application de la théorie du ruissellement, les échanges de savoirs produiront la richesse des idées. On comprend ainsi comment un professeur peut en venir à affirmer, sur le site d’une association de professeurs de philosophie (Acireph) que les élèves “ne sont pas doués de réflexion autonome”, et que “penser par soi-même est une fiction”. La philosophie doit sortir de sa caverne.

 

Lire aussi : Bernard Quiriny : Le grand art du bref

 

On prend certes le risque de penser hors-cadre, ce qui m’a d’ailleurs valu quelques rappels à l’ordre. C’est pourtant le cœur même de la pensée : sortir d’un récit essentiellement social, impersonnel, qui sert surtout celui qui l’utilise. Une théorie est d’abord un talisman. Au contraire penser, c’est forcer la pensée, comme on force un coffre.

D’où des critères d’évaluation simple, que je constate chaque année en commission d’harmonisation : combien une copie pense-t-elle ? Le problème du sujet a-t-il été compris, c’est-à-dire la réalité gênante qu’il interroge est-elle décrite, dépliée, traitée, résolue ? La gêne de la vérité, le scandale du désir, le comique de l’art, l’angoisse de la liberté, ont-ils été relevés ? On  se fiche pas mal des références, des plans en deux ou trois parties. La vraie philosophie se moque de la philosophie. Mettre en difficulté la pensée par des réalités poisseuses, hybrides, intolérables, nous sortir des platitudes d’une société qui affiche plus qu’elle ne voit, qui signalise plus qu’elle ne signifie, voilà son rôle. Une bonne copie ne tombe pas dans le panneau.

 

 

Guillaume von der Weid

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