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C’est le plus rebattu des lieux communs politiques: la droite française serait « la plus bête du monde ». C’est lui faire trop d’honneur : il y a du vertige métaphysique dans la bêtise ; quant à la candeur elle confine parfois à la sainteté. Bêtise, métaphysique, candeur, sainteté, autant de notions inintelligibles à cette droite qu’incarna Jacques Chirac.
Chirac, c’était la droite couillonne ou plutôt, la droite « Duduche », celle qui rit fort et croit tout résoudre par un clin d’oeil, une tape dans le dos ou une blague salace. Chirac, c’était aussi la droite roublarde, celle qui reluque, soupèse et empoche; et en matière de combine, l’animal était aguerri, réussissant à dégoûter jusqu’à Nicolas Sarkozy, lequel, effaré, confia un jour à Patrick Buisson: « Franchement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi corrompu que Chirac 1». Mais Chirac c’était surtout l’incarnation de la droite « modérée », affamée de respectabilité, affolée par le qu’en-dira-t-on, cette droite que la gauche feint de respecter parce qu’elle ne lui résiste en rien.
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La gauche fut donc d’autant plus scandalisée par le dernier discours d’Eric Zemmour qu’il le tînt la veille même des obsèques de Jacques Chirac, et d’y voir bien sûr une coïncidence lourdement symbolique, car Chirac, proclame t-elle, n’avait jamais pactisé avec le diable. Ce ne fut pas une coïncidence mais une ironie de l’histoire (ou de la Providence): si un Zemmour existe, s’il est devenu nécessaire à un pays miné par la lâcheté, c’est parce que Jacques Chirac a trahi tous les fondamentaux du gaullo-bonapartisme dont le RPR était à la fois le garant et représentant.
Chirac avait renoncé à être de droite, gaulliste, français, à être tout simplement, et ses deux mandats inaugurèrent pour la France l’ère du pourrissement plan-plan. Il n’agissait guère car il ne croyait en rien; sa prudence envers les “idées générales” n’était que défiance envers toute forme de pensée ou d’idéal. Sur ce chapitre, il faudra inlassablement répéter cette anecdote rapportée par Philippe de Villiers :
Je me souviens d’un grand diner avec Mitterrand et d’autres dirigeants européens à l’Elysée. Chacun y allait de sa date favorite en Europe, au nom de son pays. C’est Margaret Thatcher qui commença :
– Pour moi, la date importante, c’est 1215, la Grande charte.
– Pour moi, enchaîna Kohl, c’est 1648, le traité de Westphalie, la nouvelle Europe.
– Pour moi, poursuivit Mitterrand, sur le temps long, c’est 496, le baptême de France.
– Chirac n’a encore rien dit. Il prend un air stratosphérique et inspiré. Il est à ses libations, les yeux dans sa bière. Mitterrand se tourne vers lui :
– Et vous, monsieur Chirac, votre date européenne ?
– pour moi c’est 1664… Kronenbourg.
– Alors, il lève sa pinte avec fierté […]
Ce fut sa manière à lui de faire le malin, dans une sorte de version low-cost de la légèreté française. Cela dit, longtemps il fut accordé à l’ère du temps. Il faut se remémorer le climat de bêtise hilare qui domina la dernière fin de siècle, s’infliger le souvenir de ces boomers régnant en maîtres, empuantissant l’atmosphère de leur cynisme vulgaire et de leurs niaiseries utopiques. On ne voulait pas trop s’en faire à l’époque et somme toute on rigolait bien, un peu comme les supporters du stade de Furiani, qui, quelques minutes avant le drame, s’amusaient à faire tanguer la tribune sous les holas, les vivas et les gloussements des dames. Chirac trouva sans difficulté sa place dans ce bruyant chahut.
Chirac avait renoncé à être de droite, gaulliste, français, à être tout simplement, et ses deux mandats inaugurèrent pour la France l’ère du pourrissement plan-plan.
Succédant à Mitterrand, il fut le deuxième président hédoniste de la Vème République et, sans complexe aucun, se fit plaisir – pardon, “pléz”. Sa jouissance, toutefois, fut incomplète: même président de la république, jamais il ne mena le pince-fesse de la politique française, intégralement rythmé, jusqu’en 2007, par le fantôme de Tonton et les hâbleries de Le Pen. Dans ce bouffonesque trio il fut le bon troisième, celui aux dépends duquel les deux autres s’entendent pour fomenter farces et attrapes, d’où une certaine mélancolie qui affleurait parfois derrière son sourire bonasse.
Avec acharnement, il s’enferra dans le piège tendu par Mitterrand, qui, fort de la complicité de Jean-Marie, neutralisa la droite durant quinze années jusqu’au dénouement burlesque du 21 avril 2002. Il fut l’éternel cocu de la politique française, rôle dont il s’accommoda placidement. Le plus triste, c’est qu’il cocufia à son tour les dernières personnalités d’envergure de son propre camp, celles qui d’emblée, avaient deviné les conséquences du funeste traité de Maastricht. Dans ce contexte, le fameux discours de Séguin prononcé à l’assemblée le 5 mai 1992 apparaît rétrospectivement comme le dernier épisode sérieux de l’histoire de France.
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Bien sûr, on nous opposera le « non à la guerre en Irak », oubliant que la genèse de ce beau geste reste obscure, qu’il fut sans doute motivé par de minables raisons, le pacifisme par exemple, ou le désir de ne pas froisser certaines franges “sensibles” de la population. Certes, Jacques Chirac, comme la plupart des hommes publics de sa génération, “présentait bien” (par la suite nous réaliserons combien cette qualité avait son importance) ; il savait aussi s’adresser aux plus humbles (autre qualité devenue rare), et sa cordialité de commande, son côté “pas fier”, faisaient plaisir à voir, mais comme Mitterrand, comme Le Pen, il fut pour la France une désastreuse arnaque.
Et pourtant, on célèbre aujourd’hui “l’immense humaniste” et les Français ne semblent pas lui en vouloir, osant même le placer à la hauteur du Général de Gaulle. Pourquoi cette mansuétude ? Sans doute parce Chirac était une arnaque comme on les aime dans notre pays: matamoresque, vaudevillesque, « abracadabrantesque », « en même temps » facile et retorse, toute enrubannée de discours pontifiants, bref, une arnaque bien de chez nous. Une arnaque “qualité France”.
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François Gerfault
1Patrick Buisson, La cause du peuple, Perrin, 2016, p.110
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