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La Cour de Justice de l’UE a refusé le 19 novembre dernier de déclarer que le Conseil de la magistrature polonais réformé par le PiS et la Chambre disciplinaire créée à la Cour suprême (la cour de cassation polonaise) étaient contraires au droit européen. Et pour cause, les traités européens reconnaissent la souveraineté exclusive des États membres de l’UE en matière d’organisation de leur système judiciaire. On parle aussi de pressions sur les juges de Luxembourg venues d’outre-Rhin où la Cour constitutionnelle ne reconnaît pas la primauté du droit européen sur l’ordre constitutionnel allemand.
En Pologne, la Chambre disciplinaire près la Cour suprême a été créée par les réformes de 2017-2018 du gouvernement Morawiecki pour que les juges incompétents, corrompus ou outrepassant leurs compétences à des fins de militantisme politique aient enfin à répondre de leurs actes après des décennies d’impunité liée au corporatisme de la profession et au fait que les juges qui auraient dû être sanctionnés étaient généralement laissés tranquilles par leurs collègues juges chargés de les sanctionner. La majorité parlementaire issue des élections de 2015 a donc changé le mode de nomination du Conseil de la magistrature (KRS) dont les 15 membres-juges (sur 25 membres en tout) sont désormais nommés par le Parlement et non pas par d’autres juges.
La réforme a été validée par le Tribunal constitutionnel polonais.
Ce KRS est entre autres choses chargé de proposer au président de la République les candidatures pour les nominations de juges, dont ceux qui peuplent aujourd’hui la Chambre disciplinaire. Il a aussi la capacité de bloquer la révocation par le ministre de la Justice des présidents et vices-présidents des tribunaux ordinaires. La réforme a été validée par le Tribunal constitutionnel polonais.
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En août 2018, les juges de la Chambre du Travail et des Assurances sociale de la Cour suprême polonaise avaient tenté d’impliquer la Cour de Justice de l’UE dans le combat contre les réformes du PiS qui avaient pourtant été annoncées dans son programme électoral de 2015 et qui bénéficiaient donc d’une légitimité démocratique incontestable. Pour cela, ces juges avaient adressé à la CJUE des questions préjudicielles sans véritable rapport avec l’affaire qu’ils avaient à juger, mais dans lesquelles ils posaient la question de la légitimité du KRS réformé et de la nouvelle Chambre disciplinaire.
Le 19 novembre 2019, la CJUE leur a donc renvoyé la balle en estimant que, si les institutions judiciaires des États membres doivent effectivement respecter le principe d’indépendance de la justice pour l’application du droit européen, c’est à la Cour suprême polonaise elle-même, et non pas à la justice européenne, d’évaluer si le KRS réformé et la Chambre disciplinaire respectent ce critère. Une forme d’ingérence masquée malgré tout, car si la CJUE a ainsi semblé se laver les mains, elle a quand même prétendu donner à cette cour de cassation polonaise un pouvoir qu’elle n’a pas puisque, en Pologne, c’est le Tribunal constitutionnel qui est seul compétent pour invalider les lois qui ont réformé le Conseil de la magistrature et créé cette Chambre disciplinaire. Cela n’a pas empêché trois juges de la Chambre du Travail et des Assurances sociales près la Cour suprême (où siègent 120 juges en tout) de décréter le 5 décembre que le KRS réformé et la nouvelle Chambre disciplinaire n’étaient pas conformes au droit européen et donc illégitimes.
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Allant encore plus loin que ce que prétendait permettre la CJUE, certains juges militants polonais, affectés à des instances de niveau inférieur, c’est-à-dire à des tribunaux de district et des tribunaux régionaux (qui sont peu ou prou l’équivalent des tribunaux d’instance et de grande instance en France) se sont saisis de cette décision pour décréter eux-mêmes que le Conseil national de la magistrature réformé et la Chambre disciplinaire près la Cour suprême ne respectent pas le principe d’indépendance de la justice inscrit en termes très généraux dans les traités européens et que, le droit européen primant sur le droit national, ces institutions ne sont pas légitimes.
La majorité parlementaire du PiS, renouvelée par les électeurs polonais le 13 octobre dernier, travaille donc sur un projet de loi pour durcir les sanctions face à de tels agissements : les juges outrepassant leurs compétences en remettant en cause la légitimité d’autres juges pourront être plus facilement sanctionnés financièrement, mutés ou même suspendus. Un projet de loi indispensable pour éviter que la révolte d’une partie des juges polonais ne sème l’anarchie.
Un exemple : le juge Pawel Juszczyczyn de la modeste ville de province d’Olsztyn, a prétendu remettre en cause, après le jugement de la CJUE du 19 novembre mais avant même celui adopté à la Cour suprême le 5 décembre, un jugement de première instance au prétexte que le juge de première instance avait été nommé sur proposition du Conseil de la magistrature réformé dont Juszczyszyn, outrepassant ses compétences de juge de tribunal régional, conteste la légitimité.
Il est devenu pour un temps un symbole brandi par l’opposition qui crie à la violation de l’indépendance des juges par les pouvoirs législatif et exécutif.
Sanctionné par le président du tribunal, il est devenu pour un temps un symbole brandi par l’opposition qui crie à la violation de l’indépendance des juges par les pouvoirs législatif et exécutif. Sans doute ce Juszczyczyn était-il intéressé personnellement quand il s’est engagé dans la lutte contre les réformes du PiS, car il avait, il y a quelques années, conduit à la ruine et à la mort d’un agriculteur en donnant son aval à la procédure de liquidation de son exploitation agricole pour le remboursement d’une dette qui valait nettement moins que la valeur réelle de la ferme en question et en clôturant cette procédure alors que l’acheteur de la ferme n’avait pas réglé le montant jugé. Le résultat, c’est que la liquidation d’une ferme estimée par l’expert judiciaire à 300.000 zlotys (sachant que 1 € = 4,30 zlotys) a débouché sur une vente par l’huissier pour 200.000 zlotys et un paiement réel par l’acheteur de 32.000 zlotys, ce qui n’a pas permis de couvrir la totalité de la dette de l’agriculteur qui était de 66.000 zlotys avec les intérêts. Une situation typique du fonctionnement des réseaux semi-mafieux de province des pays post-communistes, où juges, huissiers, procureurs, créanciers, policiers et racheteurs sont souvent de mèche pour dévaliser les honnêtes gens avec toutes les apparences de la légalité. Bénéficiant de l’impunité totale dont bénéficiait jusqu’ici sa profession, Juszczyczyn n’a jamais été sanctionné pour ce jugement qui prouve au mieux son incompétence et au pire sa corruption et ses liens mafieux.
Le véritable problème de la politisation de la justice en Pologne, ce sont les juges militants.
Cette affaire n’avait été portée à la connaissance du public que grâce à l’action d’une sénatrice qui avait pris la défense de ce pauvre agriculteur. Quand le tribunal d’Olsztyn a enfin reconnu « l’erreur » commise par le juge Juszczyszyn dans cette affaire, le pauvre agriculteur y avait perdu la santé et vivait dans la misère. Il est décédé en mars dernier.
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Autre exemple : lors des manifestations du 1er décembre organisées par la principale association de ces juges militants, Iustitia, avec l’opposition libérale et de gauche (des manifestations qui n’ont pas rassemblé foule, contrairement à ce qui a été dit dans certains médias étrangers), un sénateur du parti libéral Plateforme civique (PO), jugé en ce moment pour des faits de corruption, manifestait aux côtés du président du tribunal chargé de le juger. Le véritable problème de la politisation de la justice en Pologne, ce sont justement ces juges militants, en lutte contre le PiS, qui relaxent les militants d’opposition fauteurs de troubles, bloqueurs de manifestations légales organisées par la droite et à l’origine de comportements agressifs ou d’incitations à la haine, mais que ces juges militants estiment légitimes dans la situation actuelle où la démocratie et l’indépendance de la justice, seraient, selon eux, menacées.
Contrairement à ce que prétendent les grands médias français ou allemands, pour ne citer qu’eux, ce n’est en réalité pas la majorité parlementaire élue qui menace l’indépendance de la justice en Pologne, mais c’est au contraire une minorité de juges militants non élus qui, encouragée par une opposition frustrée de n’avoir pas su convaincre une majorité d’électeurs en octobre dernier, fait aujourd’hui peser un risque sur la démocratie polonaise. Dans ce combat, les institutions européennes, y compris la nouvelle Commission Von der Leyen qui menace à nouveau les autorités de Varsovie, confirment leur préférence pour une dictature des élites éclairées plutôt que pour une démocratie parlementaire décidément trop populiste.
Olivier Bault
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