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L’éditorial du dossier : L’Europe, tu l’aimes donc tu la quittes !

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Publié le

3 mai 2019

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L’Union européenne, cette maison sans âme.

 

Les pères fondateurs ont voulu faire l’Europe par l’économie : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble: elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait », déclarait Robert Schuman le 9 mai 1950. Constatant la difficulté de se mettre d’accord sur un projet politique global, les pères de l’Europe ont adopté la stratégie des petits pas consistant à mettre progressivement en place un marché unique, qui engendre une telle situation de dépendance mutuelle des économies que celles-ci sont irrémédiablement conduites à un rapprochement toujours plus fort, chaque palier d’intégration appelant le palier suivant pour régler les difficultés du palier précédent, comme l’explique Thibaud Collin.

 

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Cet engrenage, avec effet cliquet, rend impossible tout retour en arrière. Ceci est particulièrement vrai s’agissant de la monnaie unique : une fois qu’on y est entré, il est très difficile d’en sortir sans trop de risques, comme le montrent Pierre de Lauzun et François de Lacoste-Lareymondie dans l’entretien qu’ils nous ont accordé. Idem pour le Brexit où, même sans monnaie unique, il est difficile de satisfaire la volonté du peuple britannique.

 

De fait, cette irréversibilité des traités s’accorde mal de la volonté démocratique des peuples : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens », rappelait Jean-Claude Juncker, à propos de la Grèce, en 2015. C’est pourquoi, il est plus simple de contourner la volonté populaire quand celle-ci ne s’inscrit pas dans le mouvement attendu ou émet des doutes quant au bien-fondé de certaines orientations. C’est ce qu’a osé faire Nicolas Sarkozy par le traité de Lisbonne en 2008, entachant la construction européenne d’un vice supplémentaire de légitimité démocratique. Désormais, place au gouvernement des juges et à celui des technocrates: le règne du droit et du marché, en lieu et place de la délibération politique. Car l’Union européenne cette maison sans âme! l L’Union européenne se conçoit d’abord comme un projet post-politique, qui vise à dépasser le politique par l’économie. Or, l’ordre politique est celui de la liberté là où l’ordre économique est celui de la nécessité.

 

© L’Incorrect

 

La politique organise la vie de la cité en vue du bien commun là où l’économie ne fait que satisfaire les besoins matériels de l’homme. La domination actuelle de l’économie sur la politique signifie que nous avons abdiqué notre liberté politique au bénéfice d’un empire du libre-échange qui devient à lui-même sa propre justification. De fait, tout fonctionne comme si nous avions mis en place des outils économiques qui n’ont d’autre finalité qu’eux-mêmes: la libre circulation des biens, des marchandises, des personnes et des capitaux n’a pour objectif que de garantir une concurrence pure et parfaite, à l’aune de laquelle est jugée toute décision politique. C’est ce qui explique que la Commission européenne se soit vigoureusement opposée au projet de fusion entre Alstom et Siemens, en février dernier.

Les pères fondateurs croyaient peut-être qu’en mettant en commun des moyens économiques, on ferait naître comme par miracle une volonté politique, les moyens générant eux-mêmes la fin. Mais c’est proprement utopique de raisonner ainsi: c’est comme si l’on construisait une maison en se disant qu’on finira bien par lui trouver une destination finale, des habitants et une âme. Ce dépassement du politique par l’économie fait de l’Union européenne un projet totalement saint-simonien, comme l’analyse Frédéric Rouvillois.

 

De plus, pour qu’émerge une volonté politique, il aurait fallu qu’il existât un peuple qui en soit le support légitime. Or, jusqu’à preuve du contraire, il n’existe pas de peuple européen. Qu’à cela ne tienne, répond Jean-Claude Juncker, le marché en peut favoriser l’émergence : « Les pères fondateurs de l’Europe ont choisi de faire l’Europe par le marché, non pas parce qu’ils voulaient restreindre l’ambition européenne au seul marché, mais parce que l’unification du marché permettait le rapprochement des peuples ». Comme si l’économie pouvait créer le politique ! « On ne tombe pas amoureux du marché unique », avoue lucidement Jacques Delors. Finalement, l’Union européenne n’est que la poursuite du vieux rêve babélien qui consiste à bâtir un projet sans en connaître les finalités, uniquement par hubris et volonté de puissance, estime Paul-Marie Coûteaux.

 

La domination actuelle de l’économie sur la politique signifie que nous avons abdiqué notre liberté politique au bénéfice d’un empire du libre-échange qui devient à lui-même sa propre justification.

 

S’il n’existe pas de peuple européen, il existe en revanche une civilisation européenne vieille de plus de deux mille ans qui reste un trésor inestimable d’humanité pour le monde entier. La conservation de cet héritage unique devrait être le premier objectif de toute ambition européenne. Or, notre civilisation doit affronter un double péril: une pression migratoire de l’extérieur, qui n’est pas régulée faute de volonté politique, et une dévitalisation de l’intérieur, de la part de tous ceux qui n’entendent pas transmettre ce trésor en déshérence et lui préfèrent, souvent par haine de soi, les affres de la déconstruction et le remplacement de civilisation. Deux phénomènes qui s’alimentent l’un l’autre.

 

Le magnifique sursaut français manifesté à l’occasion de l’incendie de Notre Dame montre la vacuité du débat sur les racines chrétiennes de l’Europe qui avait enflammé les esprits lors de la rédaction du traité constitutionnel européen. Exégèse théorique qui ignore les ressorts de l’âme humaine : quand Notre-Dame brûle, tout le monde comprend que c’est une part de nous-même qui disparaît. Réformer le projet européen dans le sens de la préservation de notre identité culturelle et de la restauration de la souveraineté des États-nations doit donc devenir le leitmotiv à l’aune duquel nous devons juger toute politique européenne. Pour la première fois, une inflexion majeure en ce sens peut voir le jour au Parlement européen, à l’issue des élections du 26 mai. Sachons donc saisir cette opportunité !

 

Benoît Dumoulin

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