Chris Ware vient d’être récompensé, en France, par le grand prix de la ville d’Angoulême. Comme ce prix, qui existe depuis près de cinquante ans, a aussi été accordé à Bilal, Boucq, Brétécher, Will Eisner, Franquin, Jean Giraud/Mœbius, Goossens, Emmanuel Guibert, Jijé, Pellos et Trondheim, entre autres, on peut dire qu’il n’est pas accordé à la légère (et que ça manque de femmes, c’est un vrai problème…). Cela faisait plusieurs années que Ware était finaliste et que les dessinateurs ne votaient pas pour lui?: trop intello, trop élitiste, trop américain, pas assez engagé, pas assez connu?? Un peu tout ça. Dessinant depuis l’enfance, publiant depuis plus de trente ans, Chris Ware s’est vite fait remarquer par les acteurs de la bande dessinée indépendante (comprendre?: sans super-héros), comme Art Spiegelman (Maus) et l’éditeur Fantagraphics, par ses histoires surprenantes où la narration prend visiblement le pas sur le sujet raconté, puis par son goût pour les héros moyens, contemporains qu’il place dans des situations moyennement douloureuses mais bien pénibles. Multipliant les formats, n’étant publié en France que sous forme de recueils ramassant plusieurs années de parutions, Ware n’est pas grand public mais les journalistes l’adorent. Avec lui, on sent que la bande dessinée est de l’art, de l’art intelligent et assez à gauche puisque l’American Way of Life en ressort cabossé, sans parler de l’American Dream. Chris Ware en est-il un authentique génie?? Richard de Seze a pesé le pour et le contre.
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OUI. IL NE RECULE DEVANT RIEN
Qui a lu Quimby the Mouse, paru en 2005 à L’Association, le sait?: Ware ne recule devant rien. Ses livres, qu’il pense, dessine, colorie, lettre et édite lui-même, en surveillant avec un soin paranoïaque chaque étape de la production, sont un mélange d’histoires mélancoliques, de commentaires de second degré écrits en corps 6 dans des endroits improbables, de fausses publicités et de découpages, comme dans les magazines illustrés pour enfants des années 20 à 50. Le classique côtoie l’expérimental, exigeant du lecteur un effort incessant pour s’ajuster en permanence aux systèmes narratifs qui se succèdent et parfois se mélangent. Ardu, mais gratifiant?! Remarquons d’ailleurs qu’en vieillissant l’expérimentateur a laissé la place au classique?: désormais maître de son expression, il a abandonné le radical pour ne garder que sa capacité à conceptualiser le temps qui passe, les pensées intérieures, le choc de la réalité, toutes choses utiles quand on raconte la vue d’un petit-bourgeois américain médiocre, triste et roux – Rusty Brown – ou médiocre et dégarni – Jimmy Corrigan. [...]
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