La salle des fêtes de l’Élysée grouille de journalistes en ce soir d’hiver, pressés de connaître enfin le cap qu’Emmanuel Macron veut imposer à son nouveau gouvernement, nommé pour insuffler un second souffle à ce quinquennat. Et pour cela, la présidence de la République a fixé son rendez-vous dans un théâtre élyséen monté pour l’occasion. Tout y est. D’abord, le décor : un grand fond bleu blanc rouge a été installé, sur lequel est inscrit la devise républicaine. Le public ensuite : un parterre de journalistes venu de toutes les rédactions de Paris. Le chœur, composé des ministres du gouvernement, y est aussi, placé à droite de la scène. Il ne manque plus que le comédien.
Acte premier : à la droite du président
Et quand ce dernier monte sur les planches pour prononcer sa tirade d’une vingtaine de minutes, on a du mal à le suivre. Le festival d’annonces n’aidera pas. Il opte pour un discours de fermeté, allant jusqu’à reprendre un slogan bien connu des campagnes politiques de droite « Pour que la France reste la France ». Slogan utilisé par Éric Ciotti lors de la primaire de la droite et repris par Éric Zemmour au moment de sa campagne présidentielle de 2022. Stanislas Rigault, président de Génération Zemmour, confie à L’Incorrect : « Emmanuel Macron fait du recyclage de slogan. Il joue la survie de son héritage politique lors des prochaines élections européennes donc il essaye de draguer un électorat parti soit chez Zemmour soit resté chez LR. Ce n’est pas étonnant. »
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Multipliant les clins d’œil à la droite, c’est en bon Tartuffe qu’Emmanuel Macron utilise volontairement un lexique militaire pour marquer les consciences : « réarmement », « armée », etc. Un vocabulaire qui rappelle le « Nous sommes en guerre » de la crise sanitaire. Il dit faire sienne cette devise : « Audace, action, efficacité ». Si Emmanuel Macron ne s’est pas encore mu en de Gaulle, il revêt parfaitement le costume illusoire du héros. Pour cela, il met à plusieurs reprises la pression sur ses maréchaux : « Je demande au gouvernement de sortir des codes et des cases, d’envisager des solutions plus radicales pour mettre fin à ce qui alimente le sentiment de déclassement. » Pas de place pour les fainéants donc.
Acte II : le discours d’un soi
Premier sujet : l’éducation. C’est le sujet phare de son Premier ministre Gabriel Attal, venu de la rue de Grenelle. Si ce dernier disait vouloir emporter le sujet de l’école à Matignon, force est de constater qu’il l’a même porté jusqu’à l’Élysée. S’en suit une kyrielle d’annonces du président : doublement des heures consacrées à l’éducation civique, mise en place d’une demi-heure de sport par jour en primaire et de deux heures de plus par semaine au collège, enseignement obligatoire du théâtre et de l’histoire de l’art, expérimentation de l’uniforme à l’école dans 100 établissements en vue d’une possible généralisation courant 2026, mise en place d’une remise de diplômes à la fin de l’année…
Emmanuel Macron s’essaye même à donner une définition de la nation : « Une nation a quelque chose de spirituel, c’est ce qui la différencie d’une société. » Ainsi, il estime nécessaire que les écoliers apprennent La Marseillaise. L’intention est bonne, on attend qu’elle soit réellement appliquée. On peut légitimement être dubitatif au regard de ce chiffre inquiétant : 46 % des jeunes de 16 à 24 ans ne savent que la Révolution française a eu lieu en 1789. Stanislas Rigault se félicite de cette mesure : « Tout ce qui touche au symbole me paraît très bien » mais reste sceptique : « Le sujet, c’est de savoir si ce sera vraiment appliqué et si les fondamentaux suivront, donc attention à l’enfumage. »
Second sujet : l’immigration et l’insécurité. Là encore, une autre cascade d’annonces s’abat sur la foule de journalistes : doublement de la présence policière, mise en place d’une dizaine d’opérations de lutte contre les narcotrafiquants par semaine, lutte plus efficace contre l’immigration clandestine, etc. Autant de mesures attendues par les Français. Mais, chassez le naturel, il revient au galop. Quand Louis Hausalter, journaliste au Figaro demande au président son bilan des émeutes qui ont secoué le pays l’été dernier, au lendemain de la mort de Nahel, ce dernier répond : «[Les émeutiers] sont des jeunes qui s’ennuyaient et qui ne vont pas à la montagne ni à la mer. » Une réponse qui a surpris Stanislas Rigault : « Tous les gamins des campagnes, qui n’ont qu’un petit terrain de foot mal entretenu comme distraction, ne se mettent étrangement pas à brûler leur village. Emmanuel Macron a créé la culture de l’excuse de l’émeute. »
Enfin sur le sujet de l’économie et de l’énergie, le président a, sans surprise, déroulé un discours libéral. Il a annoncé un acte II pour la croissance avançant que « le cœur de la bataille budgétaire, c’est une bataille pour l’activité et la création d’emplois et de richesses ». De plus, selon lui, « l’effort et le mérite ne sont pas assez reconnus », avant d’annoncer une adaptation des dispositifs sociaux et fiscaux pour engager une « dynamique salariale ».
Acte III : et le coq chanta
Ce 17 janvier, invitée de la matinale de Cnews et Europe 1, la nouvellement nommée ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, rejoint le grand bal des hypocrites, faisant fi de ses positions d’antan sur le mariage homosexuel et l’avortement : « 11 ans après, on voit les choses différemment ». Avant d’assurer : « Je ne suis pas opposée à l’euthanasie ».
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Bref, après cet exercice auto-centré qui n’aura intéressé que 8,7 millions de téléspectateurs malgré une retranscription sur 6 chaînes de télévisions, on se demande si le discours de politique générale de Gabriel Attal, prévu le 30 janvier dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, aura bien lieu. On l’aura bien compris, s’il devait y avoir une adaptation théâtrale moderne de la Comédie humaine, il n’existerait pas d’équivalent à celle proposée par Emmanuel Macron. Dommage, celle-ci ne semble pas avoir d’entracte.