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Contre tout et pour rien : Max Scheler critique le ressentiment

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Publié le

12 juillet 2021

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Les éditions Carmin lancent une souscription pour rééditer « L’Homme du ressentiment » de Max Scheler, essai brûlé par les nazis dans lequel le philosophe corrige chrétiennement la critique nietzschéenne du ressentiment. Un livre essentiel.
Max Scheler

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Dans l’histoire des idées, la critique du ressentiment tient une part belle pour qui sent poindre en lui quelques velléités véritablement antimodernes et ne se retrouve pas dans un monde semble-t-il voué, derrière une unité de façade, à la guerre de tous contre tous. Max Scheler, dans L’Homme du ressentiment, fait de ce dernier l’essence de la philosophie moderne, le mouvement principal d’une société démocratique et humanitariste qu’il dénonce comme ayant subverti les valeurs anciennes à son profit, continuant par-là l’intuition de Nietzsche sur le ressentiment : « La révolte des esclaves dans la morale commence lorsque le ressentiment lui-même devient créateur et enfante des valeurs : le ressentiment de ces êtres à qui la vraie réaction, celle de l’action, est interdite et qui ne trouvent de compensation que dans une vengeance imaginaire ».

Le ressentiment implique donc à la fois une jalousie et un vide, une jalousie dénuée d’objet à jalouser, une envie qui ne saurait plus ce qu’elle envie et qui ne s’appuie plus que sur elle-même en tant que telle

Pour autant, Scheler, fraîchement converti au catholicisme lorsqu’il écrit son livre, dénonce une erreur fondamentale de la critique nietzschéenne du ressentiment dans la mesure où le penseur de Sils Maria assimile le christianisme lui-même au retournement des valeurs à l’avantage des « faibles » et des « esclaves ». En effet, Nietzsche, étranger à la Révélation, refuse d’analyser le christianisme sous son aspect proprement religieux pour n’y voir qu’un ensemble de valeurs liées les unes aux autres en vue d’une fin morale : la vengeance des contempteurs du monde contre le monde. Scheler rappelle alors l’évidence d’un Christ situé non pas en face des hommes, mais devant son prochain, dont la charité ignore l’humanité pour lui préférer le frère aperçu en chaque homme et dont le sacrifice ne condamne pas la vie, mais, bien au contraire, la consacre de telle sorte qu’elle prend grâce à lui une valeur absolue, qui la sépare définitivement de toute démarche intéressée, égalitaire et utilitaire et nous rappelle alors la Volonté de Puissance nietzschéenne, cette efflorescence magnifique de la vie à laquelle seule la grâce ressemble – et non le vulgaire instinct de domination des animaux.

Cet instinct de domination en revanche, cette « loi de la jungle » érigée en mètre étalon de toutes choses et qui devrait aussi bien expliquer la biologie que la société, comme le voit très bien Nietzsche et Scheler qui s’en sert après l’avoir corrigé sur la question de christianisme, s’épanouit conceptuellement dans les sociétés démocratiques et égalitaristes puisqu’il n’existe de ressentiment véritable qu’à la condition d’avoir décrété une égalité de base qui permette la concurrence et donc des vainqueurs et des perdants libres de s’entre-tuer éternellement. Le ressentiment implique donc à la fois une jalousie et un vide, une jalousie dénuée d’objet à jalouser, une envie qui ne saurait plus ce qu’elle envie et qui ne s’appuie plus que sur elle-même en tant que telle, une négation permanente acharnée à effacer le Oui auquel elle s’oppose de telle façon qu’elle puisse exister seule et nier tout, jusqu’à la réalité. Ainsi, le ressentiment s’avère un sentiment pur, éloigné de tout esprit capable de l’ordonner. « Des hommes tristes qui regardent des choses très gaies et ne savent pas par où commencer », écrit Scheler pour définir la mentalité des hommes du ressentiment, qui ne savent par où commencer pour la raison qu’ils ne s’appuient sur rien d’autre que sur l’objet de leur haine après quoi ne leur reste plus que le vide.

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Le romantisme admiratif d’un Moyen-Âge fantasmatique par dégoût de la modernité, l’humanitarisme qui invente un amour abstrait de l’humanité récapitulé dans l’utilitarisme,jusqu’aux socialistes en passant par les révolutionnaires, de quelque bord qu’ils se trouvent, qui ne savent plus que conchier les dirigeants et s’agrègent les uns avec les autres dans des transversalités incongrues, possédant pour seule communauté la haine qu’ils vouent à ceux « d’en haut », voilà les différentes figures d’un ressentiment qui semble effectivement le moteur d’une époque, l’antimorale à disposition d’une civilisation qui ne possède même plus la capacité de concevoir la morale.

Aussi, voici un livre essentiel que celui de Max Scheler, et c’est une belle entreprise que de tenter de le rééditer afin de le rendre disponible parce qu’il figure une introduction pertinente, même si critiquable par certains points, d’un mal dont l’actualité nous montre qu’il nous infecte toujours, avec sa cohorte d’anti-tout idiots et malheureux – de plus en plus peine de convaincre des valeurs censées motiver leurs critiques – de politiques méprisants et méprisables, avec sa haine recuite fournie par les tenants de l’idéologie woke ravis déjà de précipiter tout le monde dans le néant au nom du bien.

L’Homme du ressentiment de Max Scheler
Éditions Carmin, 220 p.

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