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Coupe du monde : de guerre et d’amour

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Publié le

16 décembre 2022

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Les troubles qui ont suivi la victoire de la France contre le Maroc, loin de représenter l’esprit sportif, sont le résultat d’une perversion moderne qui confond amitié et indifférenciation. La vraie amitié entre les peuples émerge au contraire de la confrontation franche et respectueuse dont le sport est le meilleur exemple.
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Mercredi soir, il faisait froid. Il faisait froid comme depuis des jours, et c’était normal puisque nous étions en décembre. Ça tranchait drôlement avec la fête autour, sur les boulevards. Si on avait été un peu naïf, on aurait maudit une Coupe du monde organisée en plein hiver, tout ça pour le plaisir des vilains magnats barbus du pétrole. Mais comme on avait grandi, on pensait que finalement, l’air glacial offrait un soupçon de folie bienvenu à la liesse : malgré une température négative, nous étions dehors, nous exultions. Ce froid était une épreuve supplémentaire dont nous avions triomphé.

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Car nous avions triomphé de tout et, sur le boulevard Haussmann, entre les klaxons, les drapeaux et les étreintes, il était difficile de retenir une larme à la pensée que notre pays écrivait l’histoire. Les souvenirs de mille cinq cents ans de victoires se levaient à nouveaux, terribles et sereins, scintillaient dans chaque cri, dans le bonheur de chaque sourire. La France était en passe de devenir, pour le XXIè siècle, la plus grande équipe du plus populaire des sports du monde. Et ça, ce n’est pas rien. C’était une manière de briller, de dominer le globe à nouveau. Nous savons bien que nos armées ne nous le permettront plus jamais, nous savons qu’il nous faudra nous résoudre au déclin, que notre meilleur espoir consiste à le modérer par d’improbables coups d’éclats, mais enfin malgré notre assiduité aux cours de bienveillance citoyenne de Sandrine Rousseau, nous ne nous y faisons pas. Sans la moindre honte ni modération, nous resterons des amoureux impénitents de puissance.

Car la puissance, c’est bien mieux élevé qu’on croit, et puis surtout, c’est à peu près ce qui protège le plus sûrement de la haine. Oui, de la haine il y en eut cette nuit. Les circonstances précises restent à déterminer, mais enfin il est sûr que certains supporters pseudo-marocains s’en sont pris à des Français et, aussi, il faut bien l’admettre, que des groupuscules d’extrême droite ont profité de la nuit pour nous éblouir de leur intelligence indo-européenne en faisant la chasse aux Arabes. Et ça n’étonne plus personne. D’Anasse Kazib à Henry de Lesquen, tout le monde savait que d’importants troubles éclateraient en France en cas de confrontation entre notre équipe et celle du Maroc ou de l’Algérie dans une compétition majeure. Et chacun sait pourquoi, chacun à droite ne sait que ça depuis au moins quarante ans. Éblouis par les Lumières, nos dirigeants ont voulu penser hors des peuples. Or ils n’étaient pas un archaïsme, ils étaient l’une des réalités humaines fondamentales. On n’arrache pas impunément des millions d’hommes à la terre de leurs ancêtres pour les balancer dans un monde dont ils ne connaissent rien. La nature, qui est de se rassembler avec qui nous ressemble, reprend ses droits, et voilà le communautarisme puis la guerre civile, de plus ou moins haute intensité

Les instincts ne suppriment pas, ils se subliment, voilà le maître mot de la civilisation, c’est-à-dire de l’aristocratie. De l’instinct sexuel, nous avons poli l’amour-passion. L’instinct guerrier, l’instinct de domination, nous en avons fait le duel, puis le sport

Voilà, c’était l’instant zemmourien, j’espère que vous vous êtes régalés. Car, tremblez maintenant, droitards ! puisque voici l’instant décolonial. Oui, parce qu’au fond tout ça, c’est bien de la faute de l’Occident. C’est lui qui a tout oublié de la sagesse politique immémoriale. Qui s’est acharné à ériger un monde confuso-onirique, pour reprendre le concept de l’excellent et regretté Philippe Muray. Onirique pour dire que nous vivions en plein rêve, coupés de toute réalité, et confusion, parce que ce rêve était de tout mélanger, peuples et sexes, de tout amalgamer dans une méchante compote droit-de-l’hommiste. Nous retrouvions cette bouillie dans les dégoûtants discours autour du match France-Maroc, à propos des joies de la double nationalité, de la double affection, de la double pé… oups. Il était parfaitement normal, non, il était même branché de soutenir les deux équipes à la fois, ou bien une des deux indifféremment à sa nationalité. La France ou le Maroc n’étaient que des badges, des emblèmes interchangeables de la grande fête globale de l’amour qu’on pouvait se procurer dans le Décathlon le plus proche de chez soi.

Mais l’amour, ça ne marche pas comme ça. Moi, j’admets que jusqu’ici dans la vie j’avais eu à penser à trop de problèmes, je veux dire trop de femmes, pour jamais accorder beaucoup d’attention au Maroc. Et puis je les ai vus jouer, et surtout, j’ai entendu en conférence de presse leur sélectionneur, Walid Regragui. Et alors oui, j’avoue avoir aimé ce pays, ce royaume. Walid Regragui parlait droit, franc, l’œil haut. Il parlait viril, et cette dureté caressait drôlement mes oreilles déshabituées. Il voulait se battre pour l’honneur de son pays, de son continent, il se fichait bien d’être en demi-finale et d’avoir créé la surprise aux yeux du monde, il ne jurait que par la victoire, il n’aurait de cesse qu’il n’ait senti la coupe d’or dans sa paume ; il affichait clairement son admiration pour Deschamps tout en jurant d’avoir sa tête, ô comme c’était beau. Comme c’était beau d’avoir un adversaire fort et fier, comme c’était bon, comme on ne pouvait rien demander de plus à la vie ! Je n’ai jamais serré contre mon cœur que des hommes qui se démenaient pour m’assommer deux minutes avant. Oui, c’est dans la différence, dans la rivalité qu’on aime. Les Grecs le savaient déjà. On aime contre, on aime être fort et avoir contre soi la même force. Voilà comment parvenir à la seule fraternité sincère et durable qui soit entre les peuples : non en les mélangeant, en niant leur altérité, mais en leur offrant des combats loyaux.

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Les instincts ne suppriment pas, ils se subliment, voilà le maître mot de la civilisation, c’est-à-dire de l’aristocratie. De l’instinct sexuel, nous avons poli l’amour-passion. L’instinct guerrier, l’instinct de domination, nous en avons fait le duel, puis le sport. Oui, le sport est la guerre sublimée. Des petits messieurs qui l’avaient faite et n’y avaient pas précisément été les plus nuls, comme je ne sais pas moi, au hasard, Montherlant, Hemingway et Drieu, l’ont dit avant et mieux que moi. La guerre, depuis les fusils à tir rapide, les mitrailleuses et les obus, ça froisse décidément trop les corps pour s’y adonner sans s’en vouloir. Et pourtant il faut la faire. Alors nous avons le sport, avec ses « périls sains » dit notre amour de Drieu, et Montherlant ajoute que le sport « c’est la guerre, la guerre dont tu as retiré toute l’horreur et dont il reste ce qu’elle a de dur et de bon ». Et de conclure : « Le paradis est à l’ombre des épées ».

Dimanche, à seize heures, nous jouerons la finale de la 22è édition de Coupe du Monde de football contre l’Argentine. Souhaitons beaucoup d’épées à cette nation brûlante. Depuis vendredi et son quart de finale électrique contre les Pays-Bas, l’Argentine est en feu. Elle s’enthousiasme de la hargne de son héros Lionel Messi, qui, en pleine interview d’après-match, a pris à partie verbalement Wout Weghorst qui passait dans le couloir. Le joueur hollandais s’était fait remarquer par sa rudesse dans le match. « Que miras bobo? Anda palla bobo ! » [Tu regardes quoi conn*rd ? Casse-toi conn*rd !] lui hurle un Messi pourtant connu pour sa timidité. Il n’en fallait pas plus : il existe désormais des t-shirts, des tasses et même une chanson qui reprennent ces phrases. Les Argentins se veulent bagarreurs, bouillants. Il se veulent comme un grand peuple guerrier, à travers ce qui ressemble à des bêtises. Dimanche, à seize heures, offrons-leur cette guerre. Elle sera notre plus belle preuve d’amour.

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