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Crise de l’agriculture : les raisons du malaise paysan

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Publié le

12 février 2024

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Nos agriculteurs ont abandonné leurs champs. Trop de normes et peu de revenus, alors qu’ils nous nourrissent, ils crèvent la faim. La révolte gronde, le métier disparaît. Ce n’est pas que leur survie qui est en jeu, mais celle de la France.
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« La France a été faite de la paysannerie, et nulle part la paysannerie ne s’est faite comme en France » écrivait joliment Henri Pourrat dans ses Vents de Mars. C’est ce lien séculaire et intime qui explique sans nul doute le soutien national unanime (cette gauche qui leur crache dessus comme elle l’a fait avec les Gilets jaunes n’est plus nationale) dont font l’objet les agriculteurs depuis qu’ils ont lancé de grandes protestations à la mi-janvier. Un soutien tel – 87 % des Français d’après un sondage BFM TV – que le gouvernement était obligé d’agir, et ce d’autant qu’il doit craindre que le mouvement ne s’élargisse à d’autres franges de la France périphérique. Mais c’est d’une véritable révolution structurelle que nos campagnes ont besoin.

Paysans sans-le-sou

Le problème n’est certes pas nouveau, il court même depuis fort longtemps puisque c’est tout le modèle agricole français qui est à revoir, en raison d’un constat simple et archi-documenté mais auquel les politiques n’ont jamais répondu proprement : les agriculteurs ne gagnent pas leur vie alors qu’ils travaillent comme des bêtes. Comme le révélait une enquête de l’Insee de 2021, après calculs, un agriculteur gagnerait en moyenne 1 475 euros brut par mois, soit 300 euros de moins que le smic. En 2018, 18 % d’entre eux vivaient sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 13 000 euros par an pour une personne seule (contre 13 % de la population). Plus inquiétant encore, un exploitant agricole sur sept a connu des revenus nuls ou déficitaires en 2021. Ces chiffres recouvrent de très fortes disparités, dans une profession particulièrement inégalitaire. Ainsi, le niveau de vie des 10 % des agriculteurs les plus modestes (moins de 9 800 euros par an) est 4,7 fois inférieur à celui des 10 % les plus aisées (au moins 46 500 euros), un rapport qui n’est que de 3,3 parmi l’ensemble des ménages. Des différences que l’on explique par le lieu, le type et la taille des exploitations. Pour ne donner qu’un exemple, quand le revenu mensuel des éleveurs de moutons, chèvres et chevaux s’établit à 680 euros brut en moyenne, il atteint 2 440 euros pour les arboriculteurs. En plus d’être faibles, ces revenus sont en partie financés par les subventions de la PAC (répartis très inégalitairement), ce qui n’aide guère à la satisfaction. « Des prix, pas de primes » : le slogan de la Coordination rurale résume tout le problème du modèle agricole, que la présidence Macron et ses lois Egalim n’ont pas su résoudre pour l’heure.

En agriculture comme ailleurs, on manque cruellement de frontières

Ces difficultés à joindre les deux bouts n’augurent évidemment rien de bon pour l’avenir de notre agriculture, et ce alors que la pyramide des âges inquiète (la moitié des agriculteurs ont 50 ans ou plus). Pour rappel, entre 1955 et 2020, le nombre d’agriculteurs exploitants a été divisé par cinq. D’après le dernier recensement agricole de 2020, la population agricole s’établit à 496 000 exploitants, soit 100 000 de moins qu’il y a dix ans. Autant dire que si rien n’est fait pour susciter des vocations chez les jeunes et faciliter les successions au sein des familles, notre agriculture risque la disparition.

Le libre-échange en question

Ce qui a plongé nos agriculteurs dans cette galère, c’est le modèle libre-échangiste prôné par nos dirigeants et par l’Union européenne depuis une cinquantaine d’années, au nom de la division internationale des tâches et de la théorie des avantages comparatifs. Tout récemment, l’UE concluait encore un accord avec la Nouvelle-Zélande qui réduit drastiquement les droits de douane sur tout un tas de produits – ainsi, le lait néo-zélandais (premier producteur mondial) devrait inonder nos marchés après avoir parcouru 20 000 kilomètres en 40 jours dans des conteneurs – alors que la Commission européenne vient d’annoncer son intention de signer l’accord avec le Mercosur d’ici trois mois. En clair, nos agriculteurs crèvent d’un système aberrant qui les met en concurrence avec le bout du monde, là où les coûts de production sont mille fois moindres, là où les normes sociales, sanitaires et environnementales sont mille fois moins contraignantes. D’où l’on tire une conclusion : pour nos dirigeants, les vieux pays de l’Europe de l’Ouest devraient définitivement délaisser l’agriculture – ce n’est pas pour rien que les manifestations prennent aussi en Allemagne, en Irlande, au Pays-Bas, en Italie. Mais pour les mêmes raisons, la mise en concurrence au sein même de l’Europe est déjà un immense problème pour nombre de filières : fraises à cause de l’Espagne, lavande à cause de la Hongrie, poulets à cause de l’Ukraine… En agriculture comme ailleurs, on manque cruellement de frontières.

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Face à ce constat, beaucoup ont pointé du doigt l’excès de normes. Or, s’il est possible qu’elles soient trop nombreuses, brutales ou excessives ci-et-là, elles sont ailleurs indispensables (interdiction de certains produits phytosanitaires, replantation de haies, bien-être animal, etc.) pour réparer les terribles errements du productivisme des années 80-90. Du reste, le problème n’est pas tant leur existence que le fait qu’elles ne soient pas appliquées à ceux avec qui l’on est mis en concurrence. Les normes environnementales sont par exemple tancées, mais il n’y aurait pas de plus terribles erreurs que de faire des agriculteurs les adversaires de la transition écologique. N’est-ce pas au nom même de l’environnement qu’ils réussiront à faire comprendre qu’il est imbécile de consommer du lait néo-zélandais alors que l’on a ce qu’il faut ici ? Les normes peuvent du reste constituer un moyen détourné de mettre en place une politique agricole protectionniste, et donc de rétablir d’une certaine manière ces frontières que l’Europe a abolies. Hélas, la vulgate productiviste du lobby FNSEA fait encore des ravages – y compris à Bruxelles, où officie Christiane Lambert, l’ancienne patronne de la FNSEA, en tant que présidente du COPA qui rassemble les syndicats agricoles majoritaires.

« Consommacteur »

C’est ici qu’il faut causer souveraineté alimentaire car le risque est bien, à cause de ces ouvertures au monde, qu’on perde pour de bon la maîtrise de notre alimentation. On considère selon les modes de calculs qu’environ 25% du panier de consommation d’un Français est issu de l’importation. Un rapport de l’organe gouvernemental FranceAgriMer montrait récemment que la dynamique en la matière, sur les douze dernières années, n’est pas bonne, notre dépendance ayant augmenté dans à peu près toutes les productions agricoles : tous les types de fruits et légumes, le poulet, les produits laitiers (sauf la poudre de lait), les céréales (sauf l’orge), les oléoprotéagineux…

En attendant une réaction politique d’envergure, c’est encore au consommateur que revient le fin mot de l’affaire

Il nous faut donc répondre à cette crise en repartant de l’échelle nationale et de nos intérêts supérieurs, par exemple en dénonçant les accords de libre-échange qui spolient nos agriculteurs, ou en établissent cette « exception agriculturelle » que réclame depuis sa création la Coordination rurale et qui nous permettrait de mettre officiellement en place une préférence nationale sur ces questions. Mais en attendant une réaction politique d’envergure, c’est encore au consommateur que revient le fin mot de l’affaire. Ces produits peu chers venus d’ailleurs ayant permis aux industriels de faire pression à la baisse sur les prix, nous avons été très mal-habitués, nous consommateurs, et ne payons plus autant qu’on le devrait pour nous nourrir. Le premier remède à la crise, pour ceux qui peuvent se le permettre, c’est de privilégier les produits propres, bons et justes qui viennent de chez nous. Le protectionnisme est à portée de cartes bleues.

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