Les corps s’amoncellent dans la Méditerranée. Lors de la première moitié de l’année 2023, plus de 2000 migrants ont péri dans la traversée de cette mer, soit un bilan déjà supérieur à celui de chacune des quatre dernières années. Vraisemblablement, en #n d’année, les chiffres de 2023 seront seulement dépassés par ceux de 2015 et 2016, quand la crise migratoire baffait son plein. Au-delà des morts, 102 000 migrants illégaux ont pénétré dans l’Union européenne entre janvier et mai de cette année, selon l’agence Frontex. Ces chiffres, basés sur les migrants effectivement recensés, sont par nature très inférieurs aux entrées réelles.
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Une nouvelle crise migratoire européenne s’ouvre donc, selon des modalités différentes que la précédente, autour de l’année 2015. Il existe en effet trois voies principales d’entrée vers l’Europe depuis l’Afrique et le Proche-Orient : la voie occidentale, qui passe par le Maroc et remonte vers l’Espagne, parfois par les enclaves de Ceuta et Melilla ; la voie orientale, largement privilégiée en 2015, qui serpente à travers les Balkans depuis la Turquie ; et la voie de la Méditerranée centrale, qui transite par la Libye et la Tunisie, principalement vers l’Italie. C’est cette voie, plus dangereuse que les autres car elle implique une longue traversée maritime, qui est aujourd’hui la plus empruntée. Elle est d’autant plus accidentogène que les passeurs utilisent des embarcations de plus en plus précaires, assemblées en quelques jours à même les plages nord-africaines, où l’entassement des candidats au passage crée des conditions d’hygiène et de sécurité déplorables.
L’Italie en tête de proue
Face à cet afflux, l’Italie se trouve en première ligne. La tristement célèbre île de Lampedusa, à mi-chemin entre Tunisie et Sicile, première terre européenne depuis les côtes africaines, voit ses capacités d’accueil submergées par la nouvelle vague d’entrée. Entre rixes sur l’île et naufrages meurtriers à répétition sur ses côtes, le rocher de vingt kilomètres carrés est devenu le symbole des souffrances mais aussi des errements de notre voisine dans la gestion de la situation migratoire. La péninsule est pourtant dirigée depuis octobre dernier par la pour le moins droitière Giorgia Meloni, dirigeante de Fratelli d’Italia, issu du Mouvement social italien, parti néo-fasciste crée en 1946 pour faire survivre l’héritage politique de Benito Mussolini. Si un processus de recentrement a évidemment eu lieu depuis, Meloni n’en a pas moins toujours tenu un discours très virulent envers l’immigration, en particulier lors de la dernière campagne qui l’a menée au pouvoir. Elle proposait à l’époque un blocus des côtes africaines pour y rejeter les embarcations des passeurs. Dans la foulée de son élection, elle semblait confirmer en novembre sa fermeté verbale par les actes en refusant de laisser accoster dans son pays l’Ocean Viking, navire de l’association de secours de migrants SOS Méditerranée, qui a fini par mouiller à Toulon après des échanges diplomatiques tendus entre nos deux pays. La présidente du conseil italien a poursuivi dans cette voie de fermeté en faisant adopter au début de l’année un texte limitant les capacités des ONG qui leur interdit de procéder à plus d’un seul sauvetage par sortie en mer.
La position de Meloni a connu une inflexion de plus en plus notable depuis la fin de l’hiver dernier, en adoptant une position beaucoup plus compatible avec les attentes de la Commission européenne
Cependant, la position de Meloni a connu une inflexion de plus en plus notable depuis la fin de l’hiver dernier, en adoptant une position beaucoup plus compatible avec les attentes de la Commission européenne. Fin février, elle adoptait par exemple une loi facilitant l’immigration légale dans son pays, poussée par son patronat dénonçant un manque de main d’œuvre. Au printemps, elle soutenait le Pacte asile et immigration proposé de longue date par la Commission, dont la disposition principale consiste en un mécanisme de solidarité des pays européens envers ceux d’entre eux qui sont en première ligne de la vague, avec l’établissement de quotas de migrants à accueillir pour tous. Un tel système soulagerait en effet l’Italie mais crée des frictions au sein des droites nationales européennes, celles de pays intérieurs ne voulant évidemment pas se voir imposer des migrants par l’UE. C’est ainsi que Marine Le Pen s’est montrée particulièrement critique envers son alliée transalpine à cette occasion, dénonçant la mainmise de la Commission sur la Botte, notamment du fait des difficultés économiques de l’Italie qui attend un plan de relance de cent milliards de la part de l’Union.
Enfin, aux côtés de la présidente de la commission Ursula von der Leyen, Meloni a pris la tête d’un plan de négociation avec les pays d’Afrique du Nord et en premier lieu avec la Tunisie. Annoncé en juin et finalisé mi-juillet, le « partenariat global » entre l’Union et la Tunisie prévoit un plan d’aide d’un milliard sur plusieurs années, dont cent millions immédiatement. Le pays nord-africain recevra aussi des aides en nature comme des navires et des radars pour lutter plus efficacement contre l’immigration à ses frontières. En contrepartie, il doit accueillir les migrants refoulés vers ses côtes, même s’ils ne sont pas tunisiens. Quelques jours plus tard, la présidente du Conseil italien a cherché à élargir son initiative en invitant à Rome une batterie de chefs d’État et de responsables comme de nouveau le président de la Tunisie ainsi que ceux des Émirats arabes unis et de la Mauritanie pour étendre ce principe de coopération dans la lutte contre l’immigration illégale. Pompeusement nommée processus de Rome, cette stratégie qui n’a rien de révolutionnaire a le mérite de faire entrer la résolution du problème migratoire dans une perspective d’ensemble qui associe pays du Nord et du Sud.
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Résultats marginaux
Ceci étant dit, on peut déplorer que ces négociations négligent l’essentiel. Si s’associer à la Commission peut paraître utile sur le court terme, elle reste le gendarme de l’Union européenne, toujours prête à sanctionner les pays qu’elle juge trop rudes dans leur lutte contre l’immigration. L’architecture intellectuelle de l’UE, fondée sur la centralité des droits humains et non sur la défense et le rayonnement d’une civilisation, interdit toute lutte vigoureuse donc efficace contre le phénomène migratoire. Dans l’impossibilité de changer la philosophie d’ensemble de l’Union, dont la CEDH énonce parfaitement les principes, le meilleur moyen de lutte contre l’immigration illégale semble pour les États de récupérer leur pleine souveraineté en la matière, c’est-à-dire de sortir de facto de l’espace Schengen, avec ou sans révision des traités. Sans prendre le risque de rompre avec Bruxelles, les dirigeants même les plus nationalistes seront condamnés à n’obtenir que des résultats marginaux.