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DELON, ÉTOILE FRANÇAISE

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Publié le

19 août 2024

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Delon est parti. C’est une part de France qui disparait. Une part grande, à la fois ombrageuse et lumineuse. Delon, c’était un dieu malheureux tombé du ciel par accident.

Delon est parti. C’est une part de France qui disparait. Une part grande, à la fois ombrageuse et lumineuse. Delon, c’était un dieu malheureux tombé du ciel par accident. Sa vie fut pavée de blessures et de drames. On les connait et jusqu’à son dernier souffle, il fut sollicité par les rois qui se savent nus pour lui voler un peu de lumière. C’est la rançon que paient les mythes. Ils ne sont pas adaptés à la vie terrestre mais trouvent le bonheur dans l’expression de leur talent. Pour Delon c’était le cinéma.

Il rencontre le septième art pour la première fois au Régina, le cinéma de Bourg-la-Reine tenu par son père. Des westerns, ceux d’Hollywood. Il est tout gamin et ne sait pas encore qu’il partagera l’affiche de Soleil Rouge avec Bronson et Ursula Andress trente ans plus tard. Sa mère est préparatrice en pharmacie. « Je suis tout ce que ma mère était et suis devenu tout ce que ma mère aurait voulu être.  Elle était une actrice née », confiera-t-il. Lui aussi. Quand on le promenait dans le parc de Sceaux en poussette, ce n’était jamais sans l’affiche accrochée par sa mère : « Regardez-moi, mais ne me touchez pas ».

Le bonheur familial est de courte durée. Ses parents divorcent, se remarient, fondent chacun une nouvelle famille et le jeune Delon est de trop. La blessure est profonde. En 1996, lorsque Bernard Pivot lui demande : « Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous, après votre mort, l’entendre vous dire ? », il répond : « Puisque tel est ton plus grand et ton plus profond regret, je le sais, viens, je te mène à ton père et ta mère. Afin que pour la première fois, enfin, tu les vois ensemble ».

VOLONTAIRE EN INDOCHINE

Viré de partout, exclu des deux familles recomposées sans lui, il tombe sur une affiche de l’armée « Engagez-vous ». Il n’a que seize ans. Il décide de s’engager dans l’aviation avant de bifurquer en dernière minute pour la Marine « car on pouvait partir tout de suite ». Quelques mois plus tard, il part volontaire pour L’Indochine. Nous sommes en 1952. A dix-sept ans il lui faut l’autorisation de ses parents. Ils la signent. « Envoyer un gosse de dix-sept ans faire la guerre en Indo, c’est étonnant », se remémora-t-il. Il part le 23 janvier 1953. « C’était le bonheur », dira-t-il. « Tout ce que je suis devenu après je le dois à l’armée. J’ai appris à me tenir, la discipline, le respect… ». On comprend mieux pourquoi les nains lui crachent dessus.

« Tout ce que je suis devenu après je le dois à l’armée. J’ai appris à me tenir, la discipline, le respect… ».  Alain Delon

« On savait pourquoi on était là. J’ai des amis qui y sont restés, j’aurai pu aussi. Mais on savait pourquoi.  On voit des choses différentes. Ça forme. J’étais heureux là-bas. » Il gardera des amis, parmi lesquels un certain Jean-Marie Le Pen. L’amitié et la fidélité, deux mystères pour la gauche qui les lui reprochera même au lendemain de sa mort. Après un malheureux accident de jeep, le soldat Delon prend trois mois de prison. Un matin, il s’aperçoit qu’on est le 8 novembre 1955, il a vingt ans, ses parents sont à vingt mille kilomètres et il est seul dans une geôle. C’est un tournant. Il décide de rentrer en France, s’installe à Pigalle à l’Hôtel Regina, comme un symbole, et enchaîne les boulots jusqu’au jour où le cinéma l’appelle, ou plutôt les femmes. « Ce sont elles qui m’ont fait faire du cinéma. Les femmes m’ont appelé, poussé et forcé. Et je voulais voir dans les yeux d’une femme que j’étais le plus beau et le plus fort » avouera-t-il plus tard.

L’HOMME QUI NE JOUE PAS

La comédienne Michelle Cordoue, épouse du cinéaste Yves Allégret souffle à son mari son nom pour un rôle dans son prochain film Quand la femme s’en mêle (1957). Allégret accepte, le prend à part et lui dit : « On va tourner. Pour le premier jour, je voudrais te dire et que tu notes bien : tu connais ton rôle, mais je ne veux pas que tu joues. Regarde comme tu regardes, bouge comme tu bouges, parle comme tu parles, écoute comme tu écoutes. Sois toi. » Alain Delon ne l’oubliera pas. Il ne jouera pas, il vivra. René Clément est le premier à voir Delon vraiment. Il sait qu’il tient une étoile, un fauve qu’on ne dompte pas. Alors il faut le filmer. Il le choisit pour le second rôle de son adaptation de Monsieur Ripley de Patricia Highsmith. Mais Delon refuse. Il veut le premier rôle, celui de Ripley. Il n’a que vingt-cinq ans, n’est pas parti de rien mais l’ambition ne l’étouffe pas, au contraire, il sait qu’il ne ressemble à aucun autre et a compris qui il était. Surtout pas un bourgeois élégant. Le voyou, c’est lui. Clément l’a compris aussi. Il l’a vu marcher, il comprend que ce n’est pas un comédien mais un acteur. Il vampirise l’écran, aimante la caméra. Il n’est pas l’artisan qui joue, il vit le personnage. Le cinéma est fait pour lui et son existence même est cinématographique. C’est pendant le tournage de Plein Soleil qu’il apprend à jouer. Grâce à Clément : « Tout passe par le regard », lui dit-il. Il ne l’oubliera jamais, ni quand il tourne brusquement la tête vers Gabin dans Deux Hommes dans la ville, ni lorsqu’il joue du piano devant Catherine Deneuve dans Un Flic.

NAISSANCE DU SAMOURAÏ

Le succès est immense et Delon prend son envol. Il enchaîne avec l’immense Visconti pour Rocco et ses frères quelques mois plus tard. La consécration. Un pied en Italie, l’autre en France, l’Amérique lui fait les yeux doux mais il décline. Hollywood traversera l’Atlantique avec Burt Lancaster pour partager l’affiche avec lui et Claudia Cardinale dans Le Guépard (1963). Magnétique et félin, Delon sent les choses et se trompe peu. Il tourne avec les plus grands : « Je n’ai jamais eu de problème avec les grands réalisateurs. J’en ai eu avec des petits, des médiocres. Je ne l’ai jamais ouvert avec ceux-là. J’étais docile, aux ordres. On peut pas un être un grand violon sans un grand chef d’orchestre », expliquera-t-il bien plus tard.

 Delon vampirise l’écran, aimante la caméra. Il n’est pas l’artisan qui joue, il vit le personnage. Le cinéma est fait pour lui et son existence même est cinématographique. 

Delon veut être une vedette populaire, il tourne avec Verneuil (Le Clan des Siciliens ou Mélodie en sous-sol), Enrico (Les Aventuriers) et Giovanni (Deux hommes dans la ville). Il partage l’affiche avec Belmondo devant la caméra de Deray (Borsalino, qui déclenchera une brouille de plusieurs années entre les deux stars), mais s’accroche aux géants comme s’il savait déjà ce qui resterait. La Nouvelle Vague le rejette (Truffaut lui avoue qu’il lui fait peur) et lui préfère Bébel, pas grave, Delon devient immortel sous les yeux d’Antonioni, Losey, Visconti et Melville. La rencontre avec le réalisateur de L’Armée des ombres se révèle fondamentale. Il comprend Delon, adéquation parfaite entre le personnage populaire et l’animal complexe. Dans son monde d’hommes fait de rituels et de pulsions refoulées, influencé par Cocteau, Melville sait que Delon offrira une fascination érotique doublée d’un vertige de l’indéfini : Un ange déchu sublime. Le Samouraï (1967) offrira son surnom à Delon et une reconnaissance mondiale à Melville.  Ensemble ils tourneront encore deux fois, Le Cercle Rouge (1970) et le dernier film de Melville, Un Flic (1972), l’un de ses plus beaux rôles.

APOGÉE ET DÉCLIN

Alain Delon est une star, jusqu’au Japon. Mais une star française. Il n’appartient pas à un studio, comme à Hollywood, n’a pas signé de contrats longs et aucun producteur ne lui tient la main. Sa couronne, il se l’est fabriquée seul, avec le public. Il monte sa maison de production avant ses trente ans et, pour son premier projet, accepte de jouer et financer L’Insoumis, du jeune Alain Cavalier qui n’a qu’un seul film à son actif, Le Combat dans l’île, sur le tournage duquel Delon l’avait rencontré en retrouvant sa compagne : Romy Schneider. Co-écrit avec celui qui deviendra son ami, l’écrivain Jean Cau (déjà auréolé du Goncourt), L’Insoumis pourrait être l’autre surnom de Delon. Anticonformiste, libre, et audacieux, le jeune producteur Delon ose le sujet brûlant de la guerre d’Algérie deux ans à peine après la signature des accords d’Evian. Mais il est pour l’acteur surtout question de l’Indo, de l’abandon, des blessures et l’incompréhension. La censure gaulliste est à l’œuvre à sa sortie en 1964, plus un procès de l’avocate Mireille Glaymann, enlevée en 1962 à Alger par un commando de l’OAS et qui inspira l’un des personnages. Le film est un échec.

Quatre ans plus tard, le producteur Delon remet le couvert, c’est Borsalino avec Bébel, le succès est immense et la brouille entre les deux stars (reconnaissons que Belmondo lui vole la vedette) entre dans l’Histoire. Delon est un battant (titre de son deuxième film en tant que réalisateur en 1983), on le sait depuis Plein Soleil et La Piscine où il imposera son ex Romy Schneider aux producteurs. Il se bat avec le panache de Cyrano et la fierté française que certains nomment prétention. Sans lui, Monsieur Klein (1976), le chef-d’œuvre de Joseph Losey, n’aurait pas vu le jour. L’Homme « d’extrême droite » comme les nains de gauche le claironnent depuis quelques jours, finance et joue dans le plus beau film sur la rafle du Vel’hiv. Il y a ceux qui parlent et ceux qui font. Ceux qui laissent une trace et ceux qui disparaissent lorsqu’on tire la chasse d’eau.

La rencontre avec le réalisateur de L’Armée des ombres se révèle fondamentale. Il comprend Delon, adéquation parfaite entre le personnage populaire et l’animal complexe. 

Officiellement Alain Delon ne réalisera que deux films (Pour la peau d’un flic en 1981 et Le Battant en 1983). Officiellement… Car il outrepassa quelques fois son rôle de producteur comme dans Les Granges Brulées (1973). Il ne persévère pas, à l’exception de La Nuit du Chasseur, la mode n’est pas encore à l’acteur-réalisateur. Les réalisateurs le fuient, les films ont moins de succès. Il s’essaie à la parodie (Le Retour de Casanova) au théâtre mais l’acteur n’est pas un comédien. Peu à peu, il quitte cet art auquel il ne croit plus et qui ne veut peut-être plus de lui. Les géants se font rares, l’audace s’étiole, la beauté devient suspecte.

FIERTÉ FRANÇAISE

Delon aura été l’un des derniers dinosaures du septième art. Son parcours n’a pas été dicté par un institut de sondage ou par un gourou de la communication. Il n’a pas cherché à être humaniste ou réactionnaire, à plaire ou à courber l’échine, il a simplement été lui, c’est-à-dire un accident comme il le disait lui-même mais un accident fascinant, rare et lumineux. Delon s’est retiré dans sa propriété de Douchy. Longtemps il a dansé avec les morts, témoignant dans la nuit, pleurant seul Romy Schneider, Mireille Darc, Maurice Ronet, Simone Signoret et Jean-Paul Belmondo. La fidélité n’était pas un kit. Elle lui était chevillée au corps, et chaque disparition était pour lui un bout de son âme et un morceau de France qui s’envolaient aux olympes des souvenirs.

Anticonformiste, l’autre nom de la liberté, Delon l’était assurément. Et jusqu’au bout. Certains appellent ça la réaction, d’autres des convictions, et des convictions qui résistent au Mistral. Il était le compagnon de route de nos vies, qu’on appelait pour soigner nos chagrins et célébrer nos amours. Il était notre rendez-vous du dimanche soir, nos souvenirs d’une France belle, grande, insolente et bravache, qu’on a connue ou qu’on a rêvée. Il était assurément l’une des plus fortes incarnations de la fierté française.

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