Il y a deux types de génie en science-fiction : le prophète et le visionnaire. Le premier habite le Verbe, le second suscite la Vision. Le premier construit un discours capable de mettre en perspective les mystères de l’homme ; le second accouche d’un univers. Le premier a souvent un rapport complexe à son statut d’écrivain de SF tandis que le second l’assume totalement. Philip K. Dick, archétype du prophète, n’avait par exemple que peu de respect pour la dimension fictionnelle de ses œuvres, leur décorum technologique ne représentant pour lui qu’un simple véhicule pour son message. Un visionnaire désire en revanche créer une réalité de toutes pièces et qu’elle soit en mesure de soutenir sa vision du futur. Frank Herbert est de ceux-là – on peut même dire qu’il représente à ce titre une sorte d’anti-K. Dick. Les deux hommes avaient pourtant beaucoup en commun : nés dans les années 20, l’un à Chicago et l’autre dans la banlieue-sud de Seattle, tous les deux ont des enfances compliquées et tous les deux sont les auteurs de science-fiction les plus lus au monde. Leurs barbes volumineuses furent aussi pareillement recyclées par la pop culture qui les transforma en gourous psychédéliques.
Au cœur du pouvoir
Pourtant Frank Herbert n’a rien d’un hippie ni d’un drogué. Fils d’un policier alcoolique et probablement « ripou » enrichi pendant la prohibition, il eut un rapport précoce au pouvoir et à ses désillusions. Là où Dick observe les puissants de loin, avec ce mélange d’envie et de crainte qui le caractérise parfois, Herbert, lui, les côtoie dès ses débuts de journaliste, engagé notamment pour rédiger les discours de deux sénateurs républicains et témoignant à Washington de la chute du maccarthysme. Cette expérience de l’intérieur lui donnera une aisance particulière pour décrire les atermoiements, les supercheries et parfois l’extrême « orfèvrerie » de la propagande politique, républicaine ou démocrate. « Herbert était un homme plutôt complexe », souligne Lloyd Chéry, maître d’œuvre d’un livre[1]somme sur l’univers du romancier américain, Tout sur Dune. « Il est plutôt républicain, un poil réactionnaire, totalement homophobe, et on sait qu’il a eu une relation assez abusive avec ses enfants, allant jusqu’à se servir sur eux d’un détecteur de mensonges trafiqué par ses soins… » […]
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