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Éditorial essais de janvier : Combien de royaumes nous ignorent ?

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Publié le

4 janvier 2022

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Le numéro 49 est disponible depuis ce matin en kiosque, par abonnement, et à la demande sur notre site. Voici l’éditorial essais, par Rémi Lélian.
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« Combien de royaumes nous ignorent », écrivait Pascal, et combien de royaumes ignorons-nous en retour ? C’est un fait, la conscience humaine en même temps qu’elle nous permet de nous surplomber nous-même, et par là nous offre d’accéder à l’altérité, nous oblige aussi à un point focal, si bien que nous ne pouvons voir que ce que nous voulons voir ; c’est-à-dire que pour voir et pour comprendre, il faut que nous ayons choisi en amont ce que nous voulons voir et ce que nous voulons comprendre. Conséquemment, puisque nous sommes, en ce monde, ainsi défaits que la gratuité nous motive moins que ce à quoi nous portons intérêt, nos perceptions se superposent immédiatement à nos a priori pour fabriquer ensemble nos représentations que seul le réel sensible, puisqu’il est ici question de l’en-bas, dans sa forme la plus pure, quand il devient hostile, par la douleur, par la tristesse, peut contrarier. En somme, la charité de la matière consiste à nous faire souffrir afin de nous rappeler qu’elle existe et qu’on n’en fera pas l’économie sous prétexte qu’on possède l’escabeau mental grâce auquel on peut la dominer, un peu, l’espace de quelques instants.

La charité de la matière consiste à nous faire souffrir afin de nous rappeler qu’elle existe et qu’on n’en fera pas l’économie

Mais la tentation de nier le monde demeure, aussi, la souffrance, la tristesse, à condition qu’on les comprenne, peuvent s’effacer et intégrer nos représentations : alors, le monde disparaît sous l’empire de celui que je crée, et que je comprends, et qui devient mon royaume. La joie de Spinoza, la félicité des machines programmées, autant de promesses que la conscience feint de nous garantir, et nos obsessions, en d’autres termes notre intérêt, l’opiacé que nous nous administrons à nous-mêmes, selon nous-mêmes, le stratagème par lequel nous accédons au paradis sur terre qui ne sera jamais autre chose qu’un royaume factice dont nous nous rêvons le prince. Ce qui d’ailleurs n’est pas loin d’être vrai dans le sens où je suis le prince de mes représentations mais « combien de royaumes nous ignorent » alors et combien en ignorons-nous toujours ?

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Sans doute faut-il revenir à la Genèse quand le serpent promit à Ève que grâce au Fruit de la connaissance nous pourrions devenir comme des dieux, des créateurs de mondes, et que nul ne pourrait plus rien nous interdire puisque on n’interdit rien à des souverains. Pourtant, nous étions interdits et nus peu avant – et nous n’en avions pas honte l’un face à l’autre, la nudité métaphorisant l’ignorance de celui qui sait Dieu, et par là le Bien, supérieur à ses propres représentations. Depuis, hélas, nous en avons créé des mondes, dont aucun n’est vrai et dont aucun n’existe, depuis, connaissant le Bien et le mal, parce que le mal a ajouté le mensonge à notre connaissance du Bien et que seul ce dernier peut créer en vérité, nous bâtissons à chaque fois que nous croyons comprendre quelque chose, une illusion à l’intérieur de laquelle nous nous vautrons comme un satrape, pour nous y calfeutrer comme un dément dans une cellule capitonnée ; loin de la douleur, à distance de la tristesse, bref éloignés de la charité, en refusant qu’il existe d’autres mondes que les contrefaçons que nous inventons, en refusant que le monde puisse être l’envers kaléidoscopique du seul royaume qu’il est bon que nous ignorions, parce qu’il existe au-delà du Péché originel qui ne l’a jamais atteint, ni ne l’atteint, ni ne l’atteindra jamais, de telle sorte qu’il excède perpétuellement toutes nos représentations: le Royaume que nous ignorons et qui ne nous ignore pas et qui nous est promis.

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