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Éditorial monde de juin : Le cheval de trop

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Publié le

5 juin 2021

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Le numéro 43 est disponible depuis ce matin en kiosque, par abonnement, et à la demande sur notre site. Voici l’éditorial monde, par Laurent Gayard.
monde

« Nous n’avons jamais produit le geste fondateur que les Pères fondateurs de l’Amérique ont produit en 1787. Il n’y a pas eu de fondation. Nous avons placé tout notre espoir dans le processus et nous avons supposé qu’à un certain point, sans savoir ni quand, ni comment, la fondation allait survenir », expliquait le philosophe Pierre Manent en 2012. La création de l’Union européenne en 1992 n’est pas seulement l’exact contraire d’un geste fondateur, c’est la tentative d’une déconstruction totalement anhistorique. La Fiction des « États- Unis d’Europe » a pourtant eu quelques parrains prestigieux : Victor Hugo en aurait fait la première étape vers une forme d’unification universelle de l’humanité et Napoléon lui-même aurait envisagé de fonder un système politique, légal et judiciaire unique sur le continent.

Oui mais voilà, Napoléon n’a pas fondé les « États-Unis d’Europe » : il a été sacré « Empereur des Français » et a représenté pour la France et pour l’Europe le point de départ d’un nouveau récit historique, liquidant au passage l’archaïque Saint-Empire romain germanique. L’Union européenne a entamé un cheminement inverse. Elle arrache, à mesure que se renforce ce processus d’intégration technocratique, la France et l’Europe à leur histoire, pour consacrer un nouveau zollverein, à l’image de celui de la Prusse des années 1830, et dominé encore économiquement par une Allemagne démographiquement exsangue, qui entraîne avec elle le continent dans un processus d’autodilution, sous le regard béat des dirigeants français : de Chirac à Macron, tous continuateurs de l’entreprise de liquidation commencée par Tonton.

L’Union européenne représente une entreprise radicale de déconstruction de l’imaginaire des sociétés qu’elle a intégrées

Rien ne prouve mieux cette ferveur du reniement que les initiatives imposées au musée des Invalides à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon. Pour rendre hommage à celui qui fut à la fois capable de solder et d’exporter la Révolution, le directeur de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), Éric de Chassey, a donné carte blanche à une brochette d’artistes qui devaient élaborer un parcours d’art contemporain intitulé « Napoléon ? Encore ! » – car on n’a jamais assez d’art contemporain, même au sein d’une nécropole qui abrite le cercueil de Napoléon et les tombeaux de Turenne, Lyautey et Foch. On a donc demandé à un artiste de suspendre au-dessus du tombeau de l’Empereur un squelette de cheval en plastique, qui représenterait Marengo, le cheval « fétiche » de Napoléon.

Un cheval en plastique pour représenter un cheval fictif ? Marengo ne figure pas sur le registre des chevaux de Napoléon, comme le souligne Pierre Branda, historien et directeur du patrimoine de la Fondation Napoléon. On regrette que le squelette ne soit pas fluorescent, cela serait du plus bel effet pour Halloween. L’exposition, qui rassemble des noms aussi connus dans les cercles de l’art contemporain que Marina Abramovic ou Yan Pei-Ming, se veut évidemment innovante, impertinente et a à cœur de déconstruire le mythe de l’Empereur ou de mettre en avant son héritage esclavagiste et colonialiste. On regrettera aussi le manque d’approche genrée et de questionnement féministe dans cette entreprise de déboulonnage de salubrité publique.

Lire aussi : Éditorial monde de mai : filer à l’anglaise

Cet hommage carnavalesque fait penser aux célébrations du bicentenaire de la Révolution, en 1989, avec la parade géante de 6 000 figurants mise en scène par Jean-Paul Goude, qui reste encore aujourd’hui dans les esprits comme l’un des sommets du kitsch commémoratif. Trente ans plus tard, nous sommes restés prisonniers de la Mitterrandie éternelle, au sein d’une Europe noyée dans un rêve d’universalisme marchand, le seul continent du monde à avoir pris au sérieux la boutade de la fin de l’histoire.

Cornélius Castoriadis expliquait que toute société est fondée sur un imaginaire radical dans lequel les institutions prennent leur source et leur sens. L’Union européenne représente une entreprise radicale de déconstruction de l’imaginaire des sociétés qu’elle a intégrées. Comme le remarquait Philippe Muray, sur les billets de la monnaie européenne ne figurent que des ponts qui ne mènent nulle part, des routes désertes, des monuments anonymes et des architectures vides d’hommes. On pourrait suggérer de représenter sur les prochains eurobiftons un cercueil surmonté d’un squelette et de cheval en plastique, ce qui tiendrait lieu d’imaginaire aux Européens si empressés de plonger dans le néant.

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