On le sait au moins depuis La Vie rêvée des Anges : lorsque les cinéastes de gauche posent leur regard sur la misère sociale française, c’est toujours avec un mélange bien à elle de condescendance navrante et de posture idéologique. On pourra toujours reprocher à un Bruno Dumont d’avoir fait son beurre sur sa région d’origine avec une poignée d’acteurs amateurs et un cynisme à toute épreuve, ses films n’en restent pas moins imprégnés d’un certain amour pour les gueules cassées et pour les laissés-pour-compte.
Pour Emmanuel Carrère et les tenants de la gauche enracinée à Saint-Germain-des-Prés, c’est une autre histoire. Quoi qu’ils fassent, et même s’ils portent leur sincérité en bandoulière, ils ne peuvent oublier ce qu’ils sont : de riches mendiants en quête de reconnaissance. Ouistreham, adapté d’un « livre-enquête » écrit par la journaliste Florence Aubenas, en immersion chez les travailleuses pauvres qui récurent les ferries anglo-normands en un temps record, n’est pas un ratage total : Carrère est toujours à l’aise lorsqu’il s’agit de décrire en creux les conditions du mensonge ou les relations altérées par une vérité polymorphe. C’était déjà le sujet de L’Adversaire, mais aussi celui de La Moustache, belle rêverie post-dickienne sur l’emprise carcérale du couple. [...]
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