Les Gilets Jaunes ont eu des répercussions de toutes sortes et celle-ci n’est pas la moins surprenante : un groupe de catholiques engagés dans la vie de la Cité a décidé de proposer une nouvelle vision de ce que devrait être un catholicisme social. L’un d’entre eux, Guillaume de Prémare, nous raconte.
En janvier dernier, une vingtaine d’intellectuels, universitaires, ou militants associatifs et syndicaux, tous catholiques, lançaient dans le magazine La Vie un appel pour un Nouveau Catholicisme Social, en réaction au mouvement des Gilets Jaunes. Le 10 mai dernier, ils ont récidivé sur le site d’informations catholique Aleteia avec vingt-quatre signataires supplémentaires, annonçant le lancement d’une grande enquête sociale pour répondre aux défis posés à la France périphérique. L’un des initiateurs de cette enquête, Guillaume de Prémare, délégué général d’Ichtus, nous explique les tenants et aboutissants de cette initiative.
Depuis la tribune publiée dans La Vie en janvier dernier appelant à l’émergence d’un Nouveau Catholicisme Social, où en est l’initiative ?
L’appel publié le 9 janvier 2019 dans le magazine La Vie a reçu un écho assez fort, il a frappé les esprits en pleine crise des Gilets Jaunes, et il y a eu probablement une prise de conscience sur la question sociale. La France se trouvant dans une situation de fragmentation socio-géographique ; la crise des Gilets Jaunes est venue démontrer ce qui avait été notamment analysé par le géographe Christophe Guilluy. Dans ce contexte, l’idée de reprendre la tradition du catholicisme social a frappé les esprits. Il est apparu que c’était le moment propice pour répondre à cette nouvelle question sociale par un nouveau catholicisme social : cela signifie que la nouvelle question sociale exige de nouvelles pratiques politiques et sociales du catholicisme.
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C’est une démarche qui a une visée, non pas caritative, mais politique au sens noble : il faut réfléchir à la manière dont on peut recoudre le lien social, dans un pays ou ce lien social se délite très fortement. Après ce premier appel, les signataires se sont posés la question : que faire ? Non pas « que faire ? » en termes d’idéologie, comme Lénine, mais en termes d’action concrète pour contribuer, comme catholiques, à la reconstruction des communs.
Il est apparu qu’il était nécessaire, dans un premier temps, de reprendre contact avec les réalités du terrain et avec la sociologie des profondeurs de la France. Et ce, à la manière des catholiques sociaux du XIXe siècle, qui ont commencé leur action par une enquête de terrain et par une prise de contact avec les réalités ouvrières de l’époque.
Pourquoi cette décision de lancer une « grande enquête sociale » ? Quel est l’objectif d’une telle méthode ? Est-ce à dire que pour vous le Grand Débat organisé par Emmanuel Macron et le gouvernement est au mieux insuffisant, au pire inutile ?
Le Grand Débat proposé par Macron offre une perspective de court terme, qui essaie d’apporter des réponses immédiates en termes de politiques publiques. De notre côté, nous nous situons sur le terrain du temps long. Quand ce Grand Débat a été clôturé, nous nous sommes dits que c’était le moment de lancer cette enquête sociale. Notre volonté est d’évaluer les capacités d’action et de reconstruction civique au niveau local, sans attendre des politiques publiques, sans tout attendre de l’Etat ; mais de savoir ce que nous pouvons faire au niveau local, au niveau des responsabilités de chacun.
Les catholiques sociaux vont apporter le trésor de la doctrine sociale de l’Eglise.
Le but de cette enquête sociale n’est pas simplement de recenser des souffrances et des difficultés mais, et c’est un point très important qui fait toute l’originalité et la difficulté de la démarche, d’identifier les capacités d’action, les capacités à reconstruire, par le lien civique, le lien social, la vie commune.
Comment, concrètement, va se dérouler, cette grande enquête sociale ?
Les enquêteurs vont tout simplement aller à la rencontre de leurs concitoyens, là où ils ont leur vie sociale, pour les interroger sur la base d’un questionnaire que nous avons élaboré. Ce questionnaire et le mode d’emploi de l’enquête sont disponibles sur le site Internet. Les enquêteurs s’inscrivent en ligne et restituent leurs questionnaires également en ligne, jusqu’au 15 septembre 2019. Nous ferons ensuite une synthèse des résultats pour déterminer des orientations concrètes pour un catholicisme social en action. En attendant, nous organisons le samedi 15 juin à la Bourse du Travail de Paris, de 13h30 à 17h30, une demi-journée de rencontre et d’échanges entre les enquêteurs et les signataires de l’appel. Plus largement, tous ceux qui sont intéressés par la démarche sont les bienvenus.
Vous et les quarante-trois autres signataires de la tribune dans Aleteia souhaitez recréer du commun. Comment ?
La question du commun est multiple. Il y a bien sûr une crise du commun culturel en France, une fragmentation communautaire et multiculturelle, qui rend tout de même beaucoup plus complexe la construction civique commune. Reconstruire du commun, ce peut être redonner une culture commune, en effet. Et ce peut être aussi de travailler ensemble en construisant des projets civiques d’intérêt général au plan local. Pour prendre un exemple, comment dans un territoire de la France périphérique, peut-on redonner de l’emploi ? Comment dans tel petit « pays » de France, les quelques agriculteurs qui restent peuvent-ils vivre dignement du fruit de leur travail ?
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N’y a-t-il pas, pour les citoyens, un moyen de réorganiser les circuits de productions comme par exemple les circuits court. Cela implique de mettre à contribution tout le monde, des chefs d’entreprises, des commerçants, des élus, etc. L’une des questions essentielles manifestée par la crise des Gilets jaunes est : comment faire en sorte que les gens puissent vivre dignement du fruit de leur travail ? C’est une question de justice sociale, peut-être la plus importante. L’action civique locale, cela peut être aussi de porter des projets culturels en s’appuyant par exemple les traditions populaires particulières de chaque pays de France. C’est un autre exemple de ce que peut être un catholicisme social en action. Donner de l’emploi, recréer une culture commune, traiter les souffrances sociales ; voilà quelques axes.
Comment avoir une prise sur ces choses ?
Pour agir sur ces choses-là, il faut évaluer la capacité de travailler avec les autres citoyens ; ce ne sont pas les catholiques qui vont à eux seuls changer les choses. Ils sont là pour apporter leur contribution. On les appelle catholiques sociaux parce qu’ils vont apporter, non pas une idéologie, mais le trésor de la doctrine sociale de l’Eglise.
Par exemple, n’y a-t-il pas un gros problème de subsidiarité quand on voit le niveau d’absorption des libertés et responsabilités locales, aspirées par les hyper-communalités, les super-régions, ou encore l’Union européenne. Quand les échelles de décisions s’éloignent toujours plus des citoyens, cela implique une nécessaire reconquête de libertés et responsabilités locales.
Que ferez-vous des résultats de cette enquête ?
Ce que nous attendons de cette enquête, c’est d’avoir suffisamment d’éléments qualitatifs qui puissent nous permettre d’identifier quelques orientations majeures en termes d’action.
Ce n’est donc pas une enquête de sondage à caractère scientifique, c’est une enquête de vie, de rencontres. Ce qui va remonter, ce sont des éléments qualitatifs ; des entretiens, des verbatim, des idées, etc. Il y aura un gros travail de synthèse à faire en fin d’année 2019 pour lancer l’étape suivante : le temps des réalisations.
Propos recueillis par Emmanuel de Gestas