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La droite imaginaire

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Publié le

19 septembre 2017

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[qodef_dropcaps type=”normal” color=”red” background_color=””]d[/qodef_dropcaps]epuis deux cents ans, ce qu’on appelle droite a subsisté beaucoup plus par l’imaginaire qu’elle a développé que par ses victoires politiques proprement dites.

 

Au lendemain de la défaite de François Fillon au premier tour de l’élection présidentielle, l’essayiste québécois Mathieu Bock-Côté affirmait que « le retour du conservatisme est davantage celui d’un imaginaire que d’une idéologie ». Chose vraie d’une part puisque le conservatisme se voulant pragmatisme, il est rétif par essence aux idéologies ; et d’autre part parce qu’en plus de deux cents ans d’existence, la droite conservatrice française a survécu par la persistance d’un imaginaire suffisamment étoffé pour résister aux coups de boutoir du progressisme. De François-René de Chateaubriand à François Fillon, l’histoire de la droite française est une succession de défaites malgré la richesse toujours renouvelée de son imaginaire collectif.

Si l’on excepte le naufrage des monarchiens et de la constitution de 1791, le premier échec de la droite française fut celui de la Restauration. Chateaubriand en est le baromètre idéal. L’écrivain publia de 1818 à 1820 un journal nommé Le Conservateur. Il entendait ainsi servir le parti « ultra », mis à mal par Louis XVIII avec la dissolution de la « Chambre Introuvable » en 1816 et la part belle faite dès lors aux libéraux menés par Decazes. L’assassinat du duc de Berry, neveu du roi, sonna en 1820 le glas des libéraux. Revenu en grâce, Chateaubriand fut nommé ambassadeur de France puis ministre des Affaires étrangères de 1822 à 1824. On lui doit la réussite du Congrès de Vérone et celle de l’expédition d’Espagne dite des « Cent mille fils de Saint Louis », destinée à rétablir la légitimité du roi Ferdinand VII emprisonné à Cadix.

Disgracié par son ancien ami Villèle, Chateaubriand n’aura de cesse sous Charles X de prévenir la monarchie contre l’excès d’esprit réactionnaire. Peine perdue, puisque la Révolution de 1830 balaiera les Bourbons de la branche aînée au profit de leurs cousins Orléans. La ligne de crête prônée par Chateaubriand tout au long de la Restauration n’aura convaincu, pour le malheur de leur famille, ni le rusé Louis XVIII, qui la jugeait trop conservatrice, ni le dévot Charles X, qui la jugeait trop libérale. Les deux derniers rois de France eurent des tactiques mais pas de stratégie. Le couperet s’abattit une seconde fois sur la monarchie légitime.

 

Un manque de confiance dans le peuple français

 

La Monarchie de Juillet et le Second Empire ayant gouverné au centre, c’est en 1871 que le balancier ramena la droite aux affaires à l’occasion des élections législatives consécutives à la défaite des troupes impériales françaises face aux Prussiens et à leurs alliés. Le scrutin du 8 février 1871 donna une majorité monarchiste à notre pays après la victoire des candidats légitimistes et orléanistes. Vivant en exil depuis 1830 le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, était coupé des réalités françaises et empreint d’ultramontanisme, c’est à dire de vénération pour la Rome papale. Pour autant, il était sensible aux revendications ouvrières, comme en témoigne sa Lettre sur les ouvriers du 20 avril 1865, qui connut un retentissement certain. Son manifeste du 5 juillet 1871, comprenait le meilleur (« Ensemble et quand vous voudrez, nous reprendrons le grand mouvement de 89 ») comme le pire (la défense acharnée du drapeau blanc face au drapeau tricolore).

En clair, le comte de Chambord préférait son principe au pouvoir. Les monarchistes décidèrent d’ajourner la solution royale en jouant la montre. En 1873, le maréchal de Mac-Mahon, légitimiste, écarta du pouvoir Thiers, orléaniste de façade mais républicain au fond de lui, en devenant Président de la République. Mais la succession d’erreurs du parti conservateur et l’habileté des républicains conduisit aux désastres législatifs de 1876 et 1877. Après la perte du Sénat par la droite en 1879, c’en était fini des espoirs de la droite. Le comte de Chambord mourut en 1883 en Autriche, exilé volontaire. Aux yeux du monarchiste de regret qu’était le général de Gaulle, « l’histoire du drapeau blanc » ne fut jamais qu’un prétexte au « grand refus » du comte de Chambord, estimant que le Prince avait, à tort, perdu confiance dans les ressorts du peuple français.

 

La droite est un éternel recommencement

 

En 1919, la chambre « bleu horizon » est dominée par le bloc national, alliance des libéraux et des conservateurs. Pour être plus précis, on compte 203 députés de droite libérale, issus de l’Alliance démocratique, derrière Raymond Poincaré, André Barthou et André Maginot ; 183 élus conservateurs et catholiques, dont ceux de la Fédération Républicaine et des personnalités de l’envergure du nationaliste Maurice Barrès et le démocrate-chrétien Robert Schuman. Enfin, élus en marge du Bloc national, on trouve 29 élus réactionnaires, royalistes pour la plupart, dont le plus célèbre demeure Léon Daudet. Soit au total 415 députés de droite et du centre droit. La défaite sera pourtant cuisante à l’issue de la mandature, en 1924. Les divisions ont miné l’action gouvernementale.

Entre l’Alliance démocratique et la fédération Républicaine, on trouve « toute l’étendue de la question religieuse » pour utiliser la célèbre répartie de Raymond Poincaré à Charles Benoist. Entre la Fédération républicaine et les Indépendants siégeant à l’extrême-droite de l’hémicycle, il y a la question du régime. Le ralliement à la République souhaité par le pape Léon XIII a laissé des traces. La droite perdra en 1924 pour des raisons concrètes (hausse des impôts, lâcheté devant les réformes à mener) mais aussi pour des raisons psychologiques : toute union électorale de ces trois composantes est impossible. Elle n’était un bloc que de nom.

Les divisions observées depuis plus de deux siècles au sein de la droite française ont ressurgi lors de la dernière campagne présidentielle. Non seulement entre les LR et le FN (qui n’est pas un parti de droite à proprement parler mais qui attire une partie de l’électorat traditionnel de celle-ci), ce qui n’est pas nouveau. Mais aussi au sein même des Républicains. D’abord lors du second tour de la primaire de la droite et du centre puis au cours du psychodrame qui suivra la révélation des « affaires » concernant l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy. Derrière le candidat François Fillon, les notables de l’Ouest conservateur, les catholiques de « Sens Commun » et de la Manif pour Tous, l’électorat proche des anciens barons locaux UDF, de Bruno Retailleau à Charles Millon, de Gérard Longuet à Charles de Courson. Autrement dit la droite des cathédrales, partisans d’une France hérissée de libertés locales et garante au plan international de l’équilibre des empires.

C’est la droite capétienne, qu’elle soit ou non issue ou non du gaullisme. Derrière Alain Juppé, les jeunes libéraux libertaires, les bobos de droite, les élites mondialisées et atlantistes, les RPR laïcards, les héritiers du radicalisme sous toutes ses formes. C’est la droite jacobine issue des barons chiraquiens et des nostalgiques de la place de Valois, toute prête à se rallier au candidat de centre-gauche finalement élu au second tour. Ce qui fut le cas d’un Edouard Philippe. Pour l’anecdote, on rappellera que le Trocadéro, lieu symbolique du maintien envers et contre tous de la candidature de François Fillon le 5 mars 2017, tire son nom d’un des forts de Cadix pris par l’armée française en 1823. De Chateaubriand à François Fillon, la droite est un éternel recommencement.

Reste l’imaginaire de droite qui subsiste aux quatre coins de nos paysages et de notre culture. La France des églises et des châteaux, celle des saints et des héros. « On ne meurt pas pour un taux de croissance », aime à répéter Jacques Julliard. Mais les explorateurs de droite ont toujours risqué leur vie pour une quête d’absolu, qu’ils soient navigateurs (Alain Gerbault), aviateurs (Jean Mermoz et Antoine de Saint-Exupéry) ou à la recherche des derniers grands espaces de liberté (Jean Raspail et Sylvain Tesson).

Il a subsisté une droite littéraire tout au long du XXe siècle, de Léon Daudet à Michel Déon en passant par Pierre Benoît, Jean Dutourd et Roger Nimier. On voit poindre ses héritiers du côté de Christian Authier ou Olivier Maulin. Des cinéastes, et non des moindres, ont également participé de cette esthétique réactionnaire, comme Sacha Guitry ou plus près de nous Pierre Schoendoerffer ou Eric Rohmer. Cette esthétique de droite est consubstantielle à l’esprit français, frondeur et rebelle, nostalgique de l’ordre ancien et jaloux de ses libertés. Comme l’écrivait Dominique de Roux : « Dès qu’on a mis la main sur une ferme fortifiée, entourée de dix hectares de vigne, on recommence une dynastie capétienne. » Gageons donc que la droite subsistera aussi longtemps que survivra la France.

 

Essai historique, littéraire et politique, La Droite imaginaire de Jérôme Besnard paraîtra début 2018 aux éditions du Cerf.

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