Si tout a été dit sur les motivations profondes du néo-tsar, c’est sans doute leur aspect messianique qui résiste le mieux à l’analyse. Dans le monde occidental, perché sur notre propre système de valeurs, on a encore du mal à saisir toute l’ampleur du socle métaphysique russe, et qui procède au moins autant de son histoire que de sa géographie, voire d’une « onto-géographie » pour reprendre les termes du philosophe Peter Sloterdijk. Car la Russie, pays-monstre, presque sans limite, impose à ses habitants, par sa nature même, une façon de penser et d’habiter le monde. Une pensée « cosmiste » qui a trouvé son apothéose pendant l’ère soviétique, mais pas seulement.
Le ciel n’est qu’une idée
Prenez n’importe lequel des grands chefs- d’œuvre du cinéma soviétique : L’Enfance d’Ivan, Requiem pour un massacre ou Les Chevaux de Feu, ils ont un point commun saisissant : le ciel n’y apparaît presque jamais. Il n’y a pas d’horizon dans les films russes. Pas de western à l’Est. Pas de vastes étendues à parcourir, pas de conquête « spatiale ». Pourquoi ? Parce que le ciel est déjà contenu dans la terre, que l’homme enraciné est le garant de ce syncrétisme. Tous les grands cinéastes russes braquent donc leurs caméras vers la terre, car pour eux, le ciel n’est qu’une idée, alors ils plongent leurs regards vers les abysses noires, ces « hauteurs béantes » convoquées par le grand écrivain anti-communiste Alexandre Zinoviev. En Russie, la terre est toujours le lieu de la sublimation, de la transfiguration de l’homme [...].
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