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L’IVG dans la Constitution contre la liberté de pensée

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Publié le

27 février 2024

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L’inscription de l’avortement dans la Constitution sera soumise au vote du Sénat ce mercredi. Tous les juristes sérieux ont déjà expliqué son absurdité mais la question n’a en réalité jamais été juridique. Il suffit d’écouter l’argument invoqué par ses défenseurs : pour que jamais l’IVG ne soit remis en question. Étrange conception du débat et de la liberté de pensée.
Sénat

Une loi et un droit peuvent-ils être questionnés ou prêter à réflexion ? Il semblerait que non. L’avortement est un sujet tabou. Et chez nos post-modernes, quand c’est tabou c’est qu’il y a un loup. Tabou parce que selon ses promoteurs, la moitié de la population, celle qui n’a pas d’utérus, n’a pas son mot à dire. Tabou parce que c’est l’argument suprême pour détruire politiquement, médiatiquement et socialement une personnalité publique. Tabou, enfin, par la création de délits juridiquement flous (brusquement introduits dans la loi séparatisme rebaptisée « projet de loi confortant les principes républicains » de 2021) condamnant la possibilité de penser à d’autres alternatives. Car s’il existe bien un délit d’entrave, ce n’est pas à l’IVG, mais à d’autres voies. « Mon corps, mon choix » scandent-ils, or de choix, pour les femmes seules et précaires, il n’en existe pas – et du corps, il en est aussi question d’un autre, celui que les femmes portent. Alors ce n’est pas un enfant dit-on. C’est un embryon, puis un fœtus.

Pas de consensus scientifique

Pourtant, il n’existe pas de consensus scientifique en la matière. Un journaliste peut-il encore le dire ? Le critère d’une vie serait donc sa définition juridique et administrative. Il y a des certitudes qui font froid dans le dos. Mais partons donc de ces critères. Jusqu’à la huitième semaine de grossesse, on parle d’embryon pour désigner l’organisme en développement à la suite de la fusion entre le spermatozoïde et l’ovocyte. À partir de ce délai, les principaux organes et membres sont formés sans être fonctionnels. On parle alors de fœtus jusqu’au terme de la grossesse, puis d’enfant après la naissance. Un fœtus qui sort prématurément du ventre de sa mère à six mois devient donc un bébé, contrairement à celui qui attend tranquillement ses neuf mois – alors même qu’il est plus développé organiquement et donc plus autonome. Lui serait-ce reproché la normalité de la grossesse, qui de fait le prive des droits accordés à l’enfant ? Surtout, cette insistance sur les grandes divisions nie la vie en tant qu’elle est continuité : poser de telles limites implique de décider arbitrairement qu’un être change d’état et/ou de nature du jour au lendemain. Ce que personne ne peut croire.

Les différents délais de recours à l’avortement en Europe ne correspondent aucunement à ces catégories scientifiques. En France, le statut du fœtus est ambigu : tout à la fois, il peut être avorté ou inscrit à l’état-civil en cas de décès. Il est alors nommé, la mère bénéficie d’un congé de maternité, des obsèques sont organisées, autant d’éléments qui ont « scandalisé » le Planning familial, prompt à entretenir par tous les moyens la division étanche entre fœtus et enfant.

Peut-on aujourd’hui se demander pourquoi malgré la contraception, malgré la prévention, le nombre d’avortements non seulement ne diminue pas mais augmente, au regard des mots de Simone Veil : « L’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. » ? Peut-on penser l’IVG comme un sujet de santé publique, et donc de débat ?

Si l’avortement concerne toutes les femmes, la DREES établit une corrélation très claire entre un profil sociologique et le taux de recours à l’avortement : jeune, célibataire et précaire

Le 5 avril 1971 paraît dans Le Nouvel Observateur le « Manifeste des 343 », soit « la liste des 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste “Je me suis fait avorter” », comme titrait l’hebdomadaire. Rédigée pour revendiquer la légalisation de l’avortement, la pétition proclamait dès son premier point : « Je ferai un enfant si j’en ai envie, nulle pression morale, nulle institution, nul impératif économique ne peut m’y contraindre. Cela est mon pouvoir politique. » Un journaliste peut-il vérifier cinquante-trois ans plus tard si la promesse de libération des femmes du patriarcat et des normes sociales est tenue ? Si évidemment l’avortement concerne toutes les femmes, la DREES (le service statistique ministériel dans les domaines de la santé et du social) établit une corrélation très claire entre un profil sociologique et le taux de recours à l’avortement : jeune (20-29 ans), célibataire et précaire (les 10 % des femmes les plus pauvres ont 40 % de chance en plus de recourir à l’avortement). Les normes n’ont pas disparu. Quant au patriarcat si souvent combattu, on ne compte plus les témoignages de jeunes femmes contraintes d’avorter sous pression du père ou du géniteur. Le patriarcat n’est pas toujours là où on croit.

Or depuis le site officiel du gouvernement jusqu’aux cliniques désinfectées des bactéries et des consciences, le chemin est à sens unique et parfaitement balisé. Peu importe que 73 % des Français pensent que « la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’IVG» et que 84 % soient favorables à « l’intégration de détail des aides aux femmes enceintes et aux jeunes mères dans le livret officiel d’information », le Planning familial, officine faussement neutre mais furieusement idéologisée, et adoubée par le gouvernement, se félicite chaque année des records d’avortements – alors qu’« aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement » expliquait Simone Veil au perchoir de l’Assemblée nationale un 26 novembre 1974. Quelle alternative l’État propose-t-il au nom du choix à celles qui ne souhaitent pas avoir recours à l’avortement mais qui subissent des pressions familiales ou économiques ?

Ces femmes ont trois options devant elles. Premièrement, avorter. Deuxièmement, accoucher sous X et confier son enfant à l’adoption. Et troisièmement, s’en remettre à une institution qui va l’aider à vivre sa grossesse sereinement, en particulier sur un plan logistique. Les deux premières options relèvent des services publics, puisque la première est une intervention d’ordre médical et donc de la Sécurité sociale, et la seconde une opération d’état-civil. Or, en ce qui concerne la troisième option, les possibilités d’accueil sont exclusivement privées et associatives. Selon l’article 221-2 du Code de l’Action sociale et familiale, « le département doit en outre disposer de structures d’accueil pour les femmes enceintes et les mères avec leurs enfants ». Concrètement, le département est autorisé à passer des conventions avec des associations. Des établissements d’accueil mère-enfant existent, ils sont saturés quand on arrive à les trouver. En effet, le référencement internet de ces lieux est quasi-inexistant : seul le site annuaire.action-sociale.org permet de retrouver leur trace. La majorité des établissements listés est par d’ailleurs géré par des associations. « L’admission se fait au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance. Les mères peuvent se présenter soit directement auprès de l’établissement, soit auprès du Conseil Départemental, au service de l’Aide Sociale à l’Enfance », selon les informations disponibles. Dans un certain nombre de départements, l’existence d’une maison de ce type n’est même pas mentionnée sur la page consacrée à l’aide à l’enfance. Et certaines contactées nous ont expliqués leur crainte de perdre leurs subventions au nom du délit d’entrave. On est loin du projet de Simone Veil : « C’est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. »

Les lois sociétales ne coûtent pas cher. Certaines permettent mêmes de faire des économies. Mais surtout elles occupent.

Lorsque 96 % des fœtus atteints de trisomie 21 sont avortés (Conseil d’État, 2009), peut-on considérer qu’il s’agit alors d’« un moindre mal » ? Lorsqu’en 2011, Olivier Dussopt (ex-ministre de l’Action et des Comptes publics de 2019 à 2022) alors député déclare « Quand j’entends que “malheureusement” 96 % des grossesses pour lesquelles la trisomie 21 est repérée se terminent par une interruption de grossesse, la vraie question que je me pose c’est pourquoi il en reste 4 % », peut-on alors s’interroger sur les possibilités d’une dérive eugéniste ? L’IVG va être constitutionalisé alors que de nombreuses questions restent sans réponses.

Un os à ronger 

Les lois sociétales ne coûtent pas cher. Certaines permettent mêmes de faire des économies. Mais surtout elles occupent. Et puis comme c’est au nom du progrès, on ne risque pas d’affronter une fronde dans la rue à l’exception de la Loi Taubira en 2013, mais sans blocage ni casse (c’est au crédit de La Manif pour tous) un gouvernement ne cède jamais. En plus le porteur de projet, qu’il soit président ou parlementaire, s’imagine entrer dans l’Histoire pour pas cher. La probable inscription de l’IVG dans la Constitution en est un bel exemple. Les mots « triomphe » et « historique » sont de sortie, et si quelques députés ou sénateurs s’y opposent, le sceau de l’infamie marquera leur visage. Ça calme les ardeurs.

La constitutionalisation n’a qu’un objectif : éteindre tout débat. Sortez, il n’y a plus rien à voir dans le pays qui convoque Charlie et Voltaire pour causer liberté d’expression. « D’où vient donc que l’Europe soit devenue (il faut le dire, sous l’impulsion majeure de la France) ce bastion d’intolérance ? »,se demande la philosophe Chantal Delsol dans une tribune pour Le Figaro. « Pourquoi n’aurait-on pas la liberté de mettre en cause certaines clauses ou conditions de l’IVG ? Pourquoi n’a-t-on pas le droit de penser et de dire que l’interruption médicale de grossesse, qui s’étend jusqu’à neuf mois, peut alors être considérée comme un infanticide ? Serait-il criminel de croire, et de dire, que la dignité d’un embryon déjà formé passe avant la volonté individuelle de sa mère ? Que la dignité d’un être humain ne serait pas une affaire extérieure, dépendant seulement de l’attention qu’on veut bien lui prêter, mais une qualité intérieure, indépendante des circonstances ? Ne serait-ce pas là une question qui se discute, dont on peut parler, même si l’opinion régnante n’est pas de ce côté ? Le conflit autour de ces questions sociétales est si violent, l’enjeu en est si primordial, que nul ne parvient à cet égard à une politique d’équilibre et de prudence. »

La prudence, l’autre nom de la réflexion et de la sagesse, demande du courage, celui de confronter les idées, les opinions et l’information. On appelle ça la démocratie.

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